Comment j'ai dégusté tous les completer du monde, ce cépage rare ()

Le survivant grison retrouve grâce chez des producteurs passionnés par ses arômes floraux et son acidité grandiose. Une dégustation a réuni tous les vins produits par ce cépage.
(article paru dans 24 heures du 10 novembre 2023. Sur la photo Florian Cella: Georges-Claude Blanchard, vigneron-encaveur, est un des rares producteurs romands de completer.)
 

Ce fut une dégustation rare et unique. Au château de Villa, à Sierre, un panel choisi de dégustateurs a soumis ses papilles à 31 completers – prononcer «complétère». «Vous allez déguster tous les completers du monde ou presque», se réjouit José Vouillamoz. L’ampélologue qui scrute l’ADN des cépages est passionné par celui-ci et a réussi à collectionner ces crus rares et souvent confidentiels. C’est même un peu grâce à lui que des vignerons de renom en ont replanté.

Il faut dire que le completer a failli disparaître des Grisons. De quelque 3 hectares cultivés il y a quinze ans, on est désormais à 8,1 ha. Cela ne représente toujours que 0,05% du vignoble suisse. Si les viticulteurs grisons ont retrouvé cet autochtone, les Valaisans s’y sont mis aussi, les Tessinois et les Zurichois un peu. On en trouve même deux parcelles à Bougy-Villars, chez Georges-Claude Blanchard.

«J’ai fait deux années d’apprentissage dans les Grisons, à une époque où le completer était encore bien cultivé et j’ai trouvé ça formidable, particulièrement en vin de garde. Quand j’ai eu une parcelle à replanter en 2013, j’y ai repensé. Mon œnologue-conseil et mon pépiniériste ne connaissaient pas, ma famille m’a dit que j’étais fou, mais j’ai une forte tête.» Après ces 900 m2, il en a replanté 500 à la demande d’un propriétaire de vigne. Il doit toutefois le commercialiser en vin de pays, le cépage n’étant pas sur la liste autorisée par le Canton de Vaud.

Grand vin de garde

«Lors de ma première vendange en 2016, neuf caissettes étaient si pourries qu’on a tout jeté. Il ne faut pas le cueillir trop tard. En 2017, on a trop attendu et on a eu 14° d’alcool, 14 g de sucre résiduel et une acidité pas optimale.» Oui, si on n’aime pas les vins tendus, une acidité noble, autant oublier le completer. Mais c’est bien cette caractéristique qui le porte au travers des années. «Ce sont parmi les plus beaux vins de garde du monde», s’enthousiasme José Vouillamoz, qui se souvient avec émotion de sa première fois: un millésime 1990 de Gian-Battista von Tscharner, au Schloss Reichenau (GR).

Et si les vignerons recherchent cette tension, ils doivent penser à l’exposition de leurs vignes. «Dans les Grisons, avec le foehn qui le sèche et les températures, on peut le laisser un peu flétrir», explique Stéphane Kellenberger, de Vin d’Œuvre, à Loèche (VS), qui en a planté en 2019. «Mais en Valais, il faut lui laisser les coteaux moins ensoleillés si on veut lui garder sa trame acide. C’est un cépage vigoureux, qui a du caractère, il faut le maîtriser.» Autre différence notoire lors de la vinification: si la deuxième fermentation est faite dans les Grisons, on devra s'en passer dans le Vieux-Pays, pour garder de l’acidité.

Les Grisons en tête

Et alors, cette dégustation? Certes, un ou deux completers étaient décevants, mais le reste allait de vraiment bon à exceptionnel. Avec des mentions spéciales pour quatre grisons: un Martin Donatsch 2019, vendanges tardives et neuf mois de barrique, aux arômes de kumquat, de mandarine, «un grand Chablis», disent les dégustateurs; un tout jeune 2014 de Gianni Boner, d’une superbe longueur, aux arômes de noix et de carambole; un 2010 de Thomas Studach, aérien, «le plus difficile à trouver» selon José Vouillamoz, aux parfums d’amande, de brioche, de coing; et un 2014 de Von Tscharner, qui vient de le mettre en vente, tout en équilibre et en complexité. Et pour la surprise, un «blend» qu’a réalisé Nicolas Wüst, de Magnificents, avec six millésimes de ce même Von Tscharner: 2010, 2011, 2013, 2014, 2015 et 2016. Magistral.

Ce «grand cépage à mettre en de bonnes mains», selon l’expression de Claudy Clavien, vigneron à Miège (VS), mérite donc l’enthousiasme des connaisseurs. Mais il reste rare vu la petite surface cultivée, et ce qui est rare est souvent cher. Mais quand on aime…

Carte d'identité

Selon les travaux effectués par José Vouillamoz et les recherches historiques, le completer est un cépage orphelin dont on ne connaît pas les parents. Sa première mention remonte à 1321 dans un parchemin conservé à Coire. On a aussi retrouvé sa trace dans le Haut-Valais. L’hypothèse est qu’il aurait été introduit depuis l’Italie par les moines de l’abbaye de Pfäfers, à Saint-Gall, qui possédaient des vignes à Malans (GR) et en Italie. Le cépage, aussi nommé Malanserrebe, vient sans doute du latin completorium, les «complies», prière liturgique du soir (qui complète la journée) durant laquelle un verre de vin était servi.

Par un croisement avec l’humagne blanc, il a donné le lafnetscha, autre cépage autochtone haut-valaisan. Et avec la bondola tessinoise, il a donné naissance à la bondoletta au Tessin et au Hitzkircher à Lucerne. Vigoureux mais sensible aux maladies et peu productif, le cépage est tardif. «C’est un vin qui a un caractère très spécial à la vigne, à la cave et dans le verre», affirmait Gian-Battista von Tscharner à notre confrère Pierre-Emmanuel Buss.

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