Les qvevris géorgiens du Château de Praz ont révélé leur vin orange ()

Dans le Vully, les Bovard-Chervet ont travaillé une partie de leur traminer dans ces vases enterrés géorgiens avec leur œnologue de là-bas. Dégustation. (article paru dans 24 heures du 26 avril 2024, photo Jean-Paul Guinnard: Ucha Gogichadze au moment de déguster le vin.)

La Suisse connaît depuis quelques années des créations de vin orange par ses vignerons. Le vin orange? En très résumé, c’est un vin blanc vinifié comme un rouge. À savoir qu’on va faire macérer le raisin blanc plusieurs jours avec ses peaux afin que son jus en garde ses tanins et ses flavones (qui donnent la couleur) au moment où il sera pressé. Ce sont souvent des crus nature, c’est-à-dire bios et sans soufre ajouté.

À Praz, AOP Vully, sans aller jusqu’au vin nature, Marylène et Louis Bovard-Chervet ont vinifié une partie de leur freiburger 2022 avec cette méthode. Sur l’idée de leur collaborateur Ucha Gogichadze, œnologue géorgien qui travaille chez eux depuis 2021, et qui les a convaincus. Normal, puisque les vins orange sont originaires de son pays, où la viticulture est une des plus anciennes du monde, vieille de plus de huit mille ans. «Mais on voulait prendre un des cépages traditionnels du Vully, cela pouvait être un chasselas, un traminer ou un freiburger», expliquent les vignerons.

En 2023, ils ont fait beaucoup plus fort! «L’envie d’aller plus loin nous est venue en compagnie d’Ucha, qui pouvait nous aider par ses compétences.» Aller plus loin, c’était faire un véritable vin orange, «comme là-bas». Le traminer s’est imposé, pour sa complexité aromatique et son acidité faible.

En Géorgie, on vinifie les raisins dans des immenses amphores en terre cuite enterrées dans le sol, des qvevris. On y place la vendange entière qui va y fermenter puis on scelle les couvercles quelques mois avant de les desceller lors d’une cérémonie en chansons pour en retirer le vin ainsi créé.

Vinifier au jardin!

À Praz, on a donc commandé en Géorgie deux qvevris de 860 et 950 litres. «Ils sont fabriqués à la main, explique Ucha, lentement puisqu’on crée une dizaine de centimètres chaque jour avant la cuisson finale.» Les deux contenants arrivés au château de Praz ont été recouverts d’une protection sur leur extérieur avant d’être plantés en secret dans le jardin. «Cette protection n’empêche pas les échanges d’air avec le vin mais dissuade rongeurs et insectes d’attaquer le qvevri.»

«On y a mis du raisin un peu surmûr – puisqu’on attendait l’arrivée des jarres – de deux de nos trois parcelles de traminer», explique Marylène. La vendange a trouvé place dans les deux contenants avec la peau mais sans les rafles (la tige de la grappe). «Au plus fort de la fermentation alcoolique, qui a duré trois semaines, il fallait faire des pigeages réguliers toutes les trois heures, jour et nuit, pour faire redescendre le chapeau de marc dans le liquide.» Puis les qvevris ont été scellés.

Cérémonie… fribourgeoise

Ce lundi 22 avril, c’était le grand jour, célébré par les Bovard-Chervet dans l’esprit géorgien. Une trentaine d’invités, amis ou restaurateurs a ainsi pu entendre des chants, ici entonnés par un chœur fribourgeois, dont le célèbre «Lyoba» gruérien. «C’était rempli d’émotions», se rappelle Louis Bovard-Chervet.

Par la forme du qvevri, les éléments se dissocient naturellement, le vin clair en haut, puis les levures, les pellicules et enfin les pépins au fond, qui seront pressés. L’émotion était encore plus grande lorsque le résultat a pu être dégusté et comparé à un traminer traditionnel. Nous avons eu la chance de vivre l’expérience, avec ces deux vins encore bien jeunes.

Le classique, issu des mêmes parcelles et d’une troisième plus jeune, développe ses arômes traditionnels de rose, sa complexité aromatique et son acidité légère, sur un côté plutôt minéral. C’est élégant et raffiné. L’orange, lui, semble presque né de parents différents, avec cette trame tannique qui le tient bien droit, porté aussi par une acidité élégante bien plus présente. On y retrouve toujours la rose, en pétale, et tant d’autres promesses.

Le vin est pour l’instant encore en élevage en cuve (et dans une amphore en terre cuite), séparé entre vin clair et jus de presse. Le tout sera-t-il assemblé au final ou ne gardera-t-on que le vin clair? La réponse tombera en août au moment de la mise en bouteille et de la vente (32 fr.). Et l’équipe aura d’ici là recueilli de précieuses informations avant de recommencer à l’automne un nouveau millésime de leur vin si particulier.

Château de Praz, rue du Château 3, Praz-Vully. www.chateaudepraz.ch

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