«Il faut mieux vendre nos cépages locaux», dit l'EHL ()
Steffen Raub et Philippe Masset, professeurs à l’EHL Hospitality Business School, se sont intéressés à nos cépages lors d'une table ronde spécialisée. (article paru sur 24 heures, photo Philippe Maeder)
La conférence annuelle de l’American Association of Wine Economists s’est tenue à l’EHL Hospitality Business School, à Lausanne. Et s’est intéressée, entre autres, à la diversité des cépages suisses. Les Drs Steffen Raub et Philippe Masset en ont tiré des conclusions intéressantes. Interview.
Il y a 252 cépages en Suisse? Comment expliquer cette multiplicité?
Philippe Masset Il suffit de regarder la carte de la Suisse, traversée par les Alpes, le Jura, des lacs et des rivières, sans parler des effets d’altitude. Les sols sont variés, il y a une multitude de microclimats. Forcément, c’est de nature à favoriser la présence de cépages différents. Les proches Bourgogne, Piémont, vallée du Rhône, Jura, terroirs allemand ou autrichien ont de multiples influences sur nous. Ensuite, la réglementation est plus flexible en Suisse que dans d’autres régions. Enfin, par le passé, certains consommateurs ne buvaient que localement, se fournissant chez un, deux ou trois vignerons. Ces derniers avaient intérêt à pouvoir répondre aux besoins, de l’apéritif au dessert.
Chasselas, pinot noir, merlot et gamay couvrent les deux tiers du vignoble. Les trois derniers sont internationaux. Faut-il mieux vendre à l’international le seul autochtone, le chasselas?
PM: On trouve du chasselas ailleurs mais il n’y a qu’en Suisse qu’on cherche à en faire un grand vin, avec sa capacité à montrer les subtilités du terroir. Il a un potentiel en Asie, au Japon en particulier, où son profil aromatique s’accorde aux plats et aux palais. Mais le chasselas a aussi une certaine légèreté qui ne correspond pas aux goûts de beaucoup d’autres consommateurs. Il y a d’autres cépages qui auraient leur pertinence à l’international, comme la petite arvine ou le completer.
Steffen Raub: Le chasselas a un énorme potentiel de vieillissement. Tous ceux qui ont la chance de goûter des vieux chasselas de 30 ou 40 ans constatent que ce sont des vins qui, de manière miraculeuse, ont tendance à se réacidifier, à développer des arômes tertiaires très intéressants. Ça donne des très grands vins gastronomiques.
Avec le changement climatique, faut-il planter des cépages plus méridionaux?
SR: Il faut se demander dans quel but on le ferait. Si on veut faire connaître nos vins, ce serait contradictoire de dire que la Suisse puisse devenir le champion du grenache ou du tempranillo. D’autre part, on constate que la vigne est une plante qui a un potentiel de résistance et d’adaptation énorme. Rien ne dit que le changement climatique soit néfaste à nos cépages locaux. Enfin, on peut aussi agir sur les porte-greffes, sur les clones pour trouver de nouvelles adéquations permettant à nos cépages de résister au réchauffement.
La Suisse est en pointe sur les nouveaux cépages robustes. Doit-on les privilégier?
SR: Il n’est pas question de critiquer nos collègues de l’Agroscope, ni l’envie de la Suisse de développer de nouveaux cépages. Nous, en tant qu’amateurs de bons vins, avons un avis différencié, voire sceptique: nous n’avons pas encore bu de choses vraiment convaincantes. Si un vin est résistant aux maladies mais n’a pas d’attrait gastronomique ou aromatique, on ne voit pas à quoi ça peut servir.
Avec nos coûts de production, faut-il ne viser que le marché haut de gamme?
PM: La réponse est dans la question. Tout ici induit qu’on a des vins qui sont chers. Le seul positionnement possible comme producteur est donc qualitatif, de niche, avec des prix élevés. En parallèle, pour les consommateurs, on doit faire coexister une gamme de vins plus ordinaires. Par exemple, l’Escargot Rouge. En tant qu’amateur, je ne suis pas fan mais l’initiative n’est pas dénuée de sens, elle vise une autre clientèle. C’est facile, on sait à quoi s’attendre, c’est très lisible. Mais pour aller à l’international, il faut du haut de gamme, et plus encore des produits distinctifs.
Y a-t-il trop de législations et d’AOC différentes en Suisse?
PM: C’est très compliqué en Suisse. Des vignerons nous disent que leur marché d’exportation est outre-Sarine. Les Suisses allemands s’y perdent déjà: pourquoi mettre en avant le cépage en Valais et le lieu de production sur Vaud? Il y aurait besoin d’amener un peu de cohérence et de logique.
SR: L’intérêt des AOC dépend du profil des acheteurs. Le consommateur lambda qui va au supermarché et qui retrouve une appellation dont il a un souvenir gustatif heureux aura tendance à la racheter. Un consommateur plus expérimenté n’accorde pas une grande importance à l’AOC, il ne va pas acheter un vin parce que c’est un bordeaux, mais parce qu’il cherche un château particulier, un producteur qu’il suit ou dont il a entendu parler.
Comment faire pour que la Suisse devienne ce pays de vins haut de gamme que les connaisseurs recherchent?
SR: Avoir un cépage phare que les gens associent aux vins suisses aiderait à mettre la Suisse sur la carte mondiale. Avoir des producteurs vedettes que les gens identifient, comme Gantenbein ou Marie-Thérèse Chappaz, est très utile aussi.
PM: Ce qui est important aussi, ce sont des relais comme des experts internationaux. Il y en a aujourd’hui qui notent les vins suisses. En termes de communication, le 100 sur 100 de Marie-Thérèse Chappaz a eu plus de retentissement que certaines campagnes faites auparavant. Le nombre croissant de restaurants où on trouve des vins suisses est essentiel.
L’œnotourisme est-il aussi un bon moyen de promotion?
SR: C’est paradoxal, on a plein d’atouts: la réputation du pays en termes de tourisme, des fabuleuses montagnes, de très beaux paysages, d’excellents hôtels, une infrastructure gastronomique de premier ordre, mais il y a encore un gros potentiel de développement pour l’œnotourisme. Au niveau de la promotion touristique, on pourrait faire un peu plus pour rajouter le vin à la sainte trinité, montre-chocolat-fromage.
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