Tania Brasseur peut faire un poème d'une simple carotte ()

L’écrivaine passionnée de nourriture enseignera la durabilité aux restaurateurs. Avec passion, évidemment. (article paru sur 24 heures, photo Maire-Lou Dumauthioz)

 

Elle arrive, avec une élégance qui semble ne lui demander aucun effort, avec son panier sous le bras, se pose au café lausannois de la Couronne d’Or, avant d’aller faire son marché. «Le marché est pour moi un lieu de résistance, de liens et de poésie. Je rêve d’en faire un livre.» Oui, la lettrée aime la nourriture, et plus encore ceux qui la produisent, qui en racontent l’histoire. L’universitaire aime se frotter aux artisans de la terre. «J’aime aller vers les gens et partager, approfondir, il y a de toujours de belles histoires à raconter.»

Elle l’avait fait avec un livre qui défendait les traditions de notre pays, «Simplement Suisse», où elle avait parcouru le pays et ses spécialités. «J’étais invitée à une soirée de l’Académie des gastronomes et un des convives m’avait dit: «La cuisine suisse, ça n’existe pas.» C’est faux, il y a une vraie culture culinaire et gastronomique dans ce pays, mais les gens ne s’en sont pas suffisamment emparés. Il y a une méconnaissance de ce qui se fait dans le canton d’à côté, voire dans la vallée d’à côté. Nous aurions autre chose à vendre à l’étranger que la fondue et le chocolat.»

La quinquagénaire le dit avec autant de conviction que de douceur, elle qui ne se veut pas donneuse de leçon, bien au contraire. «Elle a une extrême intelligence, dit sa grande amie Géraldine Lugon, mais elle est totalement dans le partage et l’écoute. J’aime sa sincérité, son honnêteté et sa fidélité. C’est toujours fascinant de voir les relations qu’elle peut nouer autour d’une simple carotte ou de n’importe quel autre thème.»

Famille cosmopolite

Pourtant, l’histoire de Tania Brasseur a commencé loin des rives du Léman. Une histoire familiale cosmopolite avec des grands-parents resectivement belge, grecque, suisse, français et allemande, qui ont passé par l’Inde ou l’Égypte. Mais c’est dans la banlieue parisienne qu’elle naît, avant que sa mère, interprète, s’installe à Strasbourg. Une ouverture sur le monde en découle, un intérêt aux autres cultures aussi. La jeune fille jongle entre des études de théâtre et hypocagne, avant d’étudier les langues étrangères appliquées à la Sorbonne et à Zurich.

Mais l’alimentation la passionne aussi. Depuis l’enfance, où elle allait au marché avec son père qui cuisinait ensuite. Ou lorsque sa mère née en Inde préparait des plats du sous-continent. Un intérêt qu’on retrouve dans sa thèse de doctorat sur la figure de la mangeuse chez l’écrivaine Colette, qui deviendra ensuite un livre. Les livres et la nourriture, deux passions qui l’ont vue mener avec son mari la librairie Gastéréa, à Lausanne, spécialisée dans les livres anciens et modernes liés à la gastronomie (aujourd’hui fermée).

«S’intéresser à l’art culinaire, ça permet d’accéder à tant d’aspects de l’humain: l’histoire, la culture, la santé, l’environnement, l’éducation.» Elle a travaillé pour Slow Food, siège au comité du Patrimoine culinaire suisse, a écrit «Simplement Suisse» avec la cheffe Marina Kienast Gobet, avant de plonger dans l’histoire de l’absinthe pour un autre livre à succès. «Certains se sont étonnés de voir une universitaire au milieu de paysans. J’ai rencontré énormément d’artisans qui travaillent la terre et ses produits et j’ai énormément appris. J’ai envie de le transmettre sur le ton du plaisir.»

Elle s’inquiète pour l’état de la planète que malmène l’humanité. Le thème de la durabilité, qu’elle a traité comme rédactrice et traductrice indépendante ou comme collaboratrice d’un magazine de l’Office fédéral de l’environnement, se retrouve forcément aussi dans l’alimentation. «Je vis et je travaille dans cette idée. J’essaie de rendre la durabilité désirable en travaillant sur nos imaginaires, sur nos récits. Montrer que changer de comportement, ce n’est pas forcément une contrainte et un renoncement, mais un enrichissement.»

Formation durable

C’est aussi là la raison de son nouvel engagement: lancer en Suisse romande les formations de Sustineo, un programme soutenu par Bio Suisse ou l’Office fédéral de l’agriculture, entre autres. Ces modules sont destinés à des professionnels de la restauration qui veulent en apprendre plus sur la durabilité. «Ce sont autant des partages d’expériences que des cours proprement dits. Mais la restauration peut être un formidable levier pour l’environnement.» Celle que les supermarchés angoissent par la multiplicité de leurs produits mange aujourd’hui beaucoup moins de viande, sans être végétarienne.

Ses convictions, elle les vit intensément, elle qui s’avoue ultrasensible dans une société où on peine toujours à montrer ses failles. «Elle ne cherche pas à faire bonne figure, explique Géraldine Lugon, elle parle de ses difficultés sans jamais s’en plaindre.»

Elle a commencé les régates à voile par amitié pour un groupe mais aussi pour vaincre ses peurs. «À ma deuxième sortie sur Fortitou, ils m’ont fait monter en tête de mât, moi qui ai le vertige.» «Elle a développé une vraie passion pour le lac et le vent, admire Pierre Jacot, le capitaine du bateau, même si on n’a jamais gagné une régate, heureusement. Tania a une forme de douceur et une écoute des autres qui ne l’empêche pas de sortir de sa zone de confort quand elle a donné sa confiance.»

«Je suis une mélancolique joyeuse, qui m’émerveille, qui m’enthousiasme», avoue celle qui lit beaucoup, comme elle écrit, et qui projette d’organiser des ateliers de bibliothérapie créative. Elle aime la musique, beaucoup de musiques, de l’opéra à la techno qu’elle a découverte grâce à son fils, DJ dans un collectif. Elle adore aussi danser, chanter et bien sûr cuisiner… voire les trois en même temps!

Bio

1971 Naît le 11 février à Boulogne-Billancourt, en banlieue parisienne.

1992 Rencontre Henri-Daniel Wibaut à l’École d’interprètes de Zurich. Diplôme de traductrice à Zurich.

1994 Maîtrise en langues étrangères appliquées à la Sorbonne.

2000 Naissance de Maxime, suivi de Clara en 2004.

2002 Doctorat en Lettres à Lausanne. Publie «La gourmandise de Colette».

2014 Coordinatrice du magazine «L’Environnement».

2020 Cheffe de projet Alliance des chefs et Arche du Goût pour Slow Food.

2021 «Simplement Suisse».

2023 «Absinthe. Voyage au pays de la fée Verte», traduit en trois langues.

2024 Responsable Sustineo pour la Suisse romande.

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