Un jamon helvetico de porc laineux ()

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Les Alcala produisent un magnifique jambon cru sur les bords du lac de Neuchâtel dans la grande tradition espagnole

«Dans les années 60, importer du jambon cru espagnol était impossible. Alors, Papa faisait le sien parce que, chez nous, cela faisait partie de notre régime alimentaire…» Cinquante ans plus tard, Tomas et Eleuterio Alcala continuent la tradition familiale, mais à plus grande échelle, tout en se battant pour protéger le porc laineux dont ils adorent la viande.

Pourtant, les deux Neuchâtelois ont un emploi, dans la finance et dans la vente pour des sociétés internationales. Mais leur passion du jambon est telle qu’ils y consacrent beaucoup de temps. Après les premiers jambons faits pour la famille et les amis, la demande augmente. Surtout, les deux frères découvrent le porc laineux, ce petit cochon qui couvrait toute l’Europe avant que son cousin rose venu d’Angleterre ne s’impose partout, rentabilité oblige. Le porc laineux, il en reste peut-être 2000 en Suisse, dont mille inscrits au registre d’élevage.

Un élevage, sinon rien

Tomas et Eleuterio contactent l’expert romand de l’Association suisse du cochon laineux, Eric Amstutz, pour lui commander dix jambons frais. Ce dernier s’étrangle: il y a si peu de bêtes qu’il serait obligé de sacrifier tout l’élevage. Mais il propose un marché aux deux frères: s’ils achètent des bêtes, il les élèvera chez lui avant que les petits partent à l’engraissement ailleurs. Les Alcala ont de la suite dans les idées: ils créent Jural, achètent truies et verrats, trouvent à Vaumarcus (NE) Rafael Berger, qui s’occupera de l’engraissement en liberté dans un champ. Et l’aventure continue à croître.

Parce qu’il faut de la patience pour faire du beau jambon. Ces cochons noirs à ventre blanc (d’où leur nom «hirondelle») sont élevés entre 12 et 18 mois (contre quatre pour un rose). «C’est essentiel parce que c’est à partir de ce moment-là que la bonne graisse s’infiltre dans le muscle, et cette graisse est essentielle à un bon jambon.» Eleuterio et Tomas font des essais, modifient le régime des porcelets pour qu’ils engraissent tranquillement, 70% de céréales et 30% de légumes. Tout en continuant à produire leur jambon cru de porc rose, moins cher à la vente, ils commencent les premières charcuteries issues de porcs laineux.

Une croissance maîtrisée

Leurs critères sont sévères et les deux hommes sont du genre perfectionniste. Ils ont mis au point eux-mêmes les processus de salage, de séchage et d’affinage, un processus qui peut aller jusqu’à trente-six mois pour les plus belles pièces. Après de nombreuses recherches, ils ont déniché, toujours à Vaumarcus, la maison idéale, avec un grand grenier bien ventilé pour sécher et une cave humide pour affiner. Leur projet suscite beaucoup d’intérêt chez les connaisseurs, et leurs jambons (quelques centaines par année) se retrouvent sur de très belles tables helvétiques. «On pourra encore en faire davantage, mais pas beaucoup plus, on y perdrait notre qualité. Heureusement, on ne doit pas en vivre, on ne fait donc pas de compromis.»

www.jural.ch.

Sécher la viande puis la mûrir

Le porc laineux qui nourrissait la Suisse est en danger. La faute à sa croissance lente et à un poids plus modeste que son cousin rose. Mais sa viande est gage d’une belle graisse, indispensable pour produire un grand jambon.

La viande est découpée d’une manière spécifique et les autres morceaux sont vendus frais, pour des amateurs éclairés. Les quatre jambons (les deux de devant plus petits et les deux arrières) sont parés, puis salés avant qu’on ne recouvre la partie sans couenne d’un mélange à base de saindoux pour la protéger. C’est ensuite l’heure du séchage pendant la saison chaude, avec idéalement des différences de températures jour-nuit importantes. Le jambon va sécher lentement, perdant presque la moitié de son poids, et développer une microflore (Pénicillium roqueforti) qui lui donnera du goût. Puis le jambon est placé en cave humide pour l’affiner plusieurs mois. Ceux issus de cochons roses vieilliront un minimum de douze mois, ceux de porc laineux dix-huit. Mais les Alcala préfèrent 24, voire 36 mois. «Nous visons la consistance d’un jambon de Parme, avec le goût d’un jabugo.»

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