Les vieux fromages du fort militaire ()

Fromage4733.jpgA La Tine, à la frontière Vaud-Fribourg du Pays-d'Enhaut, deux fromagers ont transformé les fortifications de l'armée en caves

 

Ils sont tout fiers de montrer leur projet et ils vont d’ailleurs en ouvrir les portes au public aujourd’hui et demain: Bernard Gaudard et Jean-Baptiste Grand, pour H. Huguenin SA, et Michel Beroud, pour la Fromagerie Fleurette de Rougemont, ont en effet racheté les forts jumeaux de La Tine, entre Montbovon et Rossinière. Sur la rive gauche, Michel Beroud n’a pas encore eu le temps de se lancer dans les aménagements nécessaires pour le stockage de ses pâtes dures et molles, mais il va s’y mettre maintenant que sa fille l’a rejoint dans l’entreprise.

Et, côté rive droite, H. Huguenin affine désormais quelque 15 000 pièces dans les anciennes cellules et couloirs du fort. «Il y avait eu des essais avec L’Etivaz au milieu des années 90, qui n’avaient pas été concluants, explique Bernard Gaudard. Dès 2001, avec Fleurette, nous avons approché la Confédération pour essayer de développer le projet. Nous ne voulions pas commettre les mêmes erreurs.»

Maîtriser l’atmosphère

Un premier contrat de location est signé, et les premiers essais suivent, à coups de 50 pièces. «Vous savez, l’affinage est un processus complexe, et il y avait là un grand volume à maîtriser.» Il fallait découvrir comment se comportaient les fromages dans cette atmosphère humide (95%) et fraîche (9,5o C), répertorier les différentes pièces de ce labyrinthe géant au cœur de la montagne, amener jusqu’ici l’électricité produite par deux grandes génératrices de l’armée.

«Les 240 soldats qui logeaient ici étaient totalement autonomes, puisque l’eau était puisée dans la Sarine en contrebas. Et toute une série de sas les isolaient du monde extérieur.» Pas facile, donc, pour amener les meules à l’intérieur.

Puisque les essais ont été concluants, les deux entreprises rachètent les ouvrages en 2007. Et le fromager de Villeneuve entame les travaux, comme la découpe de l’imposant mur de béton qui bouchait l’entrée. L’affineur aime les gruyères vieux mais encore souples, un côté fruité mais pas ammoniac ou trop salé: cette nouvelle cave est idéale. «Mais on n’a pas de robot: sur ces vieilles pièces, il faut l’œil de l’homme pour savoir s’il faut brosser la pièce, combien d’eau lui donner.» Aujourd’hui, les gruyères vieux représentent plus de 20% des ventes de H. Huguenin.

Mais il n’y a pas que ça dans les couloirs de La Tine. Ici, plusieurs sortes de raclette que la société achète dans diverses laiteries suisses. Là, un Pays-d’Enhaut voisin. Et, au détour d’un couloir, des vacherins fribourgeois. «Cela n’a pas été facile à faire, puisque l’AOC précise que l’affinage doit être fait dans le canton. On a fait appel à des géomètres pour qu’ils déterminent si une partie de la forteresse était sur territoire fribourgeois.» Tout cela a été notarié, et les anciens bureaux des officiers validés du bon côté de la frontière. C’est le seul endroit très légèrement chauffé, puisque l’AOC exige un affinage à 10,5o C. «Si on a dépensé 500 000 fr. entre l’achat et les travaux, le coût énergétique est ridicule. Entre l’électricité et l’eau, on en a pour 50 fr. par mois», s’amuse Bernard Gaudard. Les visiteurs apprécieront ce week-end la fraîcheur dans laquelle l’armée tenait ses soldats.

Caves ouvertes, visites guidées et dégustations aujourd’hui et demain, rendez-vous à la cabane des officiers de La Tine.

PORTRAIT
Réussite fromagère

Bernard Gaudard était directeur des caves, quand L’Etivaz s’est battu pour la création de l’AOC. Depuis une dizaine d’années, il a repris H. Huguenin, à Villeneuve, aujourd’hui avec ses deux collègues Jean-Baptiste Grand et Michel Genoud. Cette société a triplé son chiffre d’affaires depuis la reprise, pour s’élever aujourd’hui à une quinzaine de millions de francs.

Pour pouvoir affiner du vacherin fribourgeois, les compères ont dû créer une société fille dans la région, Pigaud, qui est responsable des caves sises dans le fort de La Tine et dont le seul client est H. Huguenin.

Cette dernière achète la production de 85 fournisseurs, qu’elle affine, avant de livrer 270 clients dans le commerce de détail. «Nous évitons la grande distribution», explique Bernard Gaudard. Les exportations représentent un petit quart du volume.

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