Toute une vie dédiée à Mme  la Truite ()

truiteLIsle.jpgDepuis cinquante ans, à L’Isle, la pisciculture des Clivaz-André veille nuit et jour sur ses poissons

«On fait un métier à risque. Si l’eau s’arrête, tout est fichu.» A L’Isle, au pied du Jura, Roland Clivaz a passé un mois d’août tendu. Alors qu’il a un «droit d’eau» de 350 litres par seconde pour faire croître ses 700 000 truites, la Venoge ne lui en laissait plus que 120 l/s! L’équipe a donc ressorti ses pompes pour aller chercher l’eau déjà passée dans les bassins et la remonter, et mis en marche ses aérateurs pour tenter de remettre de l’oxygène dans cette eau récupérée. «Mes collègues injectent, eux, de l’oxygène liquide pour pouvoir réutiliser l’eau. Mais, ici, nous sommes en production bio, et le cahier des charges l’interdit.»

Roland Clivaz a commencé sa vie dans la restauration avant de reprendre avec son épouse Michèle la pisciculture créée en 1962 par ses beaux-parents, Gérald et Emma André. «C’est une vie de fous, mais on aime ça», explique-t-il. Leurs précieux protégés sont extrêmement sensibles à leur environnement. «Jour et nuit, on veille sur nos bassins pour être sûr qu’ils aient de l’eau et de l’oxygène, on guette les maladies qui pourraient se propager. Heureusement, on se partage les tours de garde avec mon beau-père, 83 ans.»

Un droit du XVIIe siècle

Celui-ci est toujours présent, bon pied bon œil. L’œil qui lui permet de repérer, par exemple, que les truites de tel bassin alimenté en eau récupérée se fatiguent trop à trouver l’oxygène indispensable. Gérald André était peintre en enseigne quand il a racheté le vieux moulin-scierie de L’Isle, en 1962. Une ruine qu’il a refaite de ses mains avec son épouse. Mais la ruine bénéficiait de ce fameux «droit d’eau», accordé par le seigneur de L’Isle au XVIIe siècle. L’eau de la Venoge alimentait la scierie. Gérald André avait une autre idée pour son utilisation. Toujours avec sa femme, il construit un, puis deux bassins sur le terrain, et fait de la pisciculture sa profession dès 1965.

«On faisait du bio sans le savoir», sourit-il. Les André commencent à vendre leurs truites arc-en-ciel et à se faire une petite réputation. C’est la mode des viviers dans les restaurants, et le couple se fait une spécialité de les alimenter en poissons. «Aujourd’hui, l’eau coûte trop cher, et il n’y a plus que quelques établissements qui se font encore une spécialité de la truite en vivier, comme La Truite, au Pont, l’Union, à Bursins, ou la Réunion, à Coinsins.»

Le danger des importations

Ce qui n’empêche pas la petite entreprise de se développer, particulièrement parce qu’elle est labellisée Bio Suisse Bourgeon. «Les seuls en Suisse romande», précisent les intéressés. Aujourd’hui, la pisciculture compte une dizaine de collaborateurs, dont une partie de la famille. Côté restauration, les hôpitaux et les EMS ont remplacé les restaurants. «Nous pouvons calibrer nos filets avec précision, et livrer à ces établissements, s’ils le désirent, 400 filets de 100 g précisément. Et si nos produits sont légèrement plus chers, ils perdent beaucoup moins d’eau à la cuisson, donc nos clients s’y retrouvent», explique fièrement Roland Clivaz. Qui s’inquiète quand même de la concurrence féroce des élevages étrangers: «Quand je vois des actions en grandes surfaces avec de la truite à 9 fr. 80, je ne sais pas comment les producteurs peuvent s’en sortir…»

A L’Isle, tout est fait maison. Les deux bassins de départ sont devenus une quinzaine, mais toujours en fonds naturels. Les Clivaz-André produisent eux-mêmes leurs alevins, récoltant la laitance chez les mâles pour fertiliser les «géniteurs», des femelles imposantes (1-2 kg). Les 700 000 bébés sont échelonnés entre novembre et février, pour étager la production. Des alevins jusqu’à 5 g deviennent des truitelles jusqu’à 140 g, avant de devenir des truites adultes. Ici, elles sont très souvent saumonées, c’est-à-dire colorées par l’adjonction naturelle d’une levure de fleur dans leur alimentation. Elles sont pêchées à 18 mois environ, aux alentours de 350 g pour être servies à la pièce.

Mais 65% d’entre elles finissent en filets fumés. Dans le laboratoire, Michèle Clivaz-André s’active avec ses collaborateurs pour lever les filets, une opération qui se termine à la main pour ôter les arêtes. Le poisson sèche un peu avant de rejoindre les fumoirs où l’on privilégie le hêtre et un goût pas trop fumé. Puis les filets gauche et droit se rejoignent au moment de l’emballage. «On livre 220 magasins en Suisse romande, de l’épicerie bio aux boucheries artisanales, et on a trois grossistes en Suisse alémanique.»

A noter que l’Etat de Vaud fait produire ici les truites fario qui vont peupler le lac de l’Hongrin et le lac Retaud.

Pisciculture du Vieux-Moulin, ch. du Moulin 7, 1148 L’Isle. 021 864 52 72.

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