Gérard Rabaey: le chef retraité gère son hyperactivité ()
Portrait réalisé dans le cadre des dernières pages de 24 heures le 18 novembre, à l'occasion de la sortie de son nouveau livre. (photo: Patrick Martin)
Il s’était fait discret depuis la remise de son restaurant trois-étoiles, fin 2010, refusant avec son honnêteté habituelle de faire de l’ombre à son talentueux successeur, Stéphane Décotterd. Pourtant, Gérard Rabaey, l’infatigable ex-chef du Restaurant Le Pont de Brent, revient faire un petit salut à ses fidèles avec un livre atypique qui sort ces jours, Retour aux sources.
Celui qui a «voulu disparaître avec élégance, comme on disparaît tous un jour», n’avoue «aucun regret, mais de la nostalgie pour cette période passionnante. Vous savez, la transition d’actif à retraité n’est jamais facile.» Il est pourtant fringant dans sa jolie villa de Blonay. Il a préparé pour nous un gâteau qui semble sorti de la meilleure pâtisserie («oh, rien de compliqué, juste une pâte bretonne avec une crème pâtissière et des cerises»).
Ses yeux pétillent toujours de cette même passion, par exemple quand il explique le temps qu’il a réalisé au Marathon de New York. «Je voulais être sous la barre des 4 heures, mais j’ai bu une de leurs boissons industrielles au 22e kilomètre. Résultat: j’ai été malade au 25e, regardez les temps de passage», dit-il en montrant les graphiques enregistrés par sa montre. A 65 ans, courir le marathon en 4 h 06, c’est pas mal, non?
Le fou de vélo, qui fait admirer sa dizaine de cycles dans la maison, s’est mis à courir à 55 ans. «J’ai toujours eu besoin de défis. Courir ce marathon en était un, écrire ce livre en était un autre. Il va falloir que j’en trouve de nouveaux», sourit-il. Pourtant, son plus gros défi aura sans doute été ce cancer qui l’a frappé en traître en 2009, une maladie qu’il aura cachée à tout le monde ou presque, allant à l’aube à l’hôpital pour sa radiothérapie avant d’assurer le service dans sa cuisine en serrant les dents. Une volonté de fer que relevait déjà sa patronne d’apprentissage à Dinan (F) en écrivant à ses parents: «Il est très consciencieux et ne veut jamais céder et faire moins que les autres. C’est un petit bonhomme extrêmement travailleur et courageux.»
Etre ainsi reconnu, à 16 ans, lui, le troisième fils du charcutier de Caen, aura été le déclic de sa carrière. «J’aurais toujours voulu être fils unique, je ne voulais jamais être quelconque ou même moyen.» Il se lance donc dans la cuisine, même si ce n’était pas une vocation. Aujourd’hui encore, il prétend n’avoir eu aucun talent de cuisinier. «Je me suis construit, c’est juste le travail et encore le travail.» Alors, cette troisième étoile Michelin, avec sa saine ambition, il en rêvait, jusqu’à ce qu’elle couronne sa carrière en 1997. «Je suis vraiment fier d’avoir monté cette maison et je suis fier qu’elle continue, je ferais tout pour l’aider, Stéphane le mérite.»
Des jeunes, Gérard Rabaey en a vu passer dans sa cuisine. «Bien sûr, j’en ai formé beaucoup, mais ils m’ont aidé à me construire aussi, ils m’ont enrichi.» Ils ont appris cette rigueur, cette organisation impeccable avant de voler de leurs propres ailes, les de Courten, Bovier, Baechler, Germanier, Rod ou Ayer, pour n’en citer que quelques-uns. Sans oublier le plus célèbre, Daniel Humm, dont le Eleven Madison Park, à New York, a été jugé meilleur restaurant du pays par ses pairs. «Nous sommes allés y manger avec mon épouse, Josette, le soir du marathon, c’était juste magnifique, extraordinaire.»
Car l’homme n’a rien du retraité grincheux, jaloux de la nouvelle génération. «Je suis très attaché à la transmission, c’est pour cela aussi que j’ai fait ce livre, pour dire ce que je voulais laisser aux jeunes. Quand je vois la réussite de tous ceux que j’ai aidés à former, je me dis que j’ai laissé une petite trace, quelque chose.»
On feuillette donc dans son ouvrage sa carrière, ses certitudes, ses hommages, avant de plonger dans une série de recettes «faciles, pas celles du restaurant, celles de la maison». On évoque Girardet, forcément, celui qui l’a tellement impressionné par son perfectionnisme, mais aussi ses amis grands chefs. «On s’est retrouvés lundi dernier au repas que le Conseil d’Etat avait donné pour tous les étoilés du canton. Une belle reconnaissance pour notre profession.»
S’il dit «avoir besoin d’être aimé», il avoue aussi prendre du temps avant d’accorder sa confiance, mais être très fidèle ensuite. En amour aussi puisque le couple qu’il forme avec Josette est toujours aussi fusionnel. A l’heure de partir, il glisse: «Ne soyez pas trop gentil dans votre article!» Un modeste, on vous dit.
"Retour aux sources. Recettes, anecdotes et réflexions", de Gérard Rabaey, Ed. Favre, 160 p., 48 fr.
Carte d’identité
1948 Naît le 6 janvier à Caen (F).
1963 Débute son apprentissage au Grand Hôtel de la Poste, à Dinan (F).
1972 Epouse Josette, la nièce de ses patrons au Mon Moulin, à Charrat (VS). Ils auront deux enfants, Céline et Guillaume.
1980 La BCV lui propose de racheter Le Café du Pont, à Brent, en mauvais état.
1997 Reçoit trois étoiles au Michelin, après le 19/20 du GaultMillau en 1988.
2010 Remet le restaurant à son second, Stéphane Décotterd, le 23 décembre.
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