Les pains de Frédéric Lutz fleurent la passion ()
A la rédaction, tout le monde a voulu goûter le pain à la drêche ramené de Romainmôtier. D’abord, il a fallu expliquer la drêche, ce résidu de céréales qui reste après la fermentation de la bière. Celle qu’utilise Frédéric Lutz, le patron de Fleur de Farine, vient de la brasserie artisanale de Merlin Chabloz, à La Sarraz. De l’orge maltée et un zeste de houblon qui ont servi à brasser une bière foncée, goûteuse et puissante. «Vous savez, la drêche, au départ, c’est de la nourriture pour les animaux. Dans mon vieux Larousse, on définit même le verbe «drêcher» par fabriquer une bouillie de glands, d’eau et de sel pour nourrir les cochons», s’amuse Frédéric Lutz.
Lui a découvert la drêche grâce à son copain Jérôme Rebetez, de la Brasserie des Franches-Montagnes. «Ça a des arômes extraordinaires, on y sent la mélasse ou le cacao, des fruits fermentés comme du kirsch, par exemple. Surtout, ça continue à travailler et ça développe de nouveaux parfums, même dans le pain. Si vous le toastez, par exemple, il va être encore différent.»
Mais, pour en garnir sa préparation, Frédéric Lutz a dû chercher la bonne solution. «Vous ne pouvez pas l’intégrer à votre pâte, cela la casserait complètement.» Le boulanger prépare donc une pâte à pain noir, qu’il laisse lever tranquillement. Puis il la lamine, il l’étale et, là, il la garnit de ses restes de céréales avant de la replier comme un mille-feuille. «C’est joli, cela fait des strates, regardez», s’enthousiasme le boulanger. Et c’est reparti pour un repos pendant lequel le pain va encore lever avant le passage au four. Au final, une préparation rustique d’aspect mais riche en goûts, à la mie presque collante, qui se mange sans fin. «Mais elle accompagne très bien un fromage de chèvre, par exemple.»
Ce pain à la drêche n’est que la dernière idée de l’artisan de Romainmôtier, qui n’en manque pas. Celui qui n’aimait pas beaucoup l’école a toujours voulu être boulanger, alors que sa famille se destinait d’habitude aux études. Un apprentissage chez les Bidlingmeyer, à Chexbres, où il apprend rigueur et passion par la grâce de son maître, Jean Cibard. «Je lui dois beaucoup, il m’a cadré alors que ce n’était pas facile. La discipline et moi…» Il part ensuite chez Fredy Girardet préparer le pain du trois-étoiles. «Une très grande école. J’ai découvert la hiérarchie et l’excellence des matières premières. La pâtisserie aussi, où je donnais un coup de main.» Mais le garçon a la bougeotte, part travailler et voyager aux Etats-Unis, revient au tea-room du Prieuré, déjà à Romainmôtier. Mais une troisième expérience va changer sa façon de voir le métier: au Château de Saint-Barthélemy, chez les Wawrinka, il apprend à travailler les farines bio, «une nouvelle manière de conduire la pâte, une nouvelle façon de travailler en respectant les choses». Dans l’institution, il hésite même à devenir maître socioprofessionnel mais il renonce finalement.
Face à l’abbatiale
En 2003, il ouvre enfin son magasin à Romainmôtier, Fleur de Farine. «Moi qui aime voyager, c’est le village idéal, puisque ce sont les touristes qui viennent chez moi.» Face au décor chaleureux de son tea-room, le laboratoire est vitré pour échanger avec les clients. «Et pour mon bras droit Alain Maillard et moi, c’est super de travailler face aux gens et face à l’abbatiale de l’autre côté de la rue.»
Il développe aussi son réseau de fournisseurs: le fromager Nicolas Hauser qui lui amène son petit-lait pour le pain de campagne, le meunier André Chevalier qui lui livre ses farines bio, le paysan Fabien Chappuis qui moud ses céréales sur des vieilles meules qu’il a récupérées, le boucher qui livre le vrai jambon pour les croissants, et beaucoup d’autres.
Ici, Frédéric Lutz ne travaille qu’avec des produits bio, sans additifs ou stabilisants pour les farines. «Le taux d’absorption est moins stable, donc il faut être plus attentif. Cela demande plus de temps, plus d’assiduité, mais les résultats sont tellement meilleurs.» Les deux boulangers sont également partisans des fermentations lentes, des levains naturels. «Quand Alain est arrivé, il me disait que j’étais fou de ne mettre que 4 g de levure par litre, alors qu’on en met 30 g d’habitude. Maintenant, il est convaincu. Les pains sont légers et beaucoup plus digestes.» Alors que le pétrin récupéré de la faillite Swissair tourne toujours, Frédéric Lutz écoute sa pâte. «Vous savez, on travaille avec la vue, avec le toucher, mais aussi avec l’ouïe: quand les bulles d’air sont bien intégrées dans la préparation, elles claquent comme une bulle de chewing-gum.»
Le boulanger philosophe écrit chaque jour une phrase relative à son métier sur le tableau noir de sa boutique. Surtout, il se demande pourquoi les gens font tellement attention à la provenance et à la composition de leur viande ou de leurs légumes, mais si peu à celles de leur pain.
L'IDÉE DU KIT PAIN LIBRE
Jamais en retard d’une idée, Frédéric Lutz et son copain Fabien Chappuis ont lancé le «kit pain libre», permettant de préparer sa pâte à gâteau soi-même. Dans un sachet, deux types de froment moulus à la meule à pierre, de la margarine de colza et un récipient contenant l’eau, l’huile de colza et le sel. On peut tout mélanger dans le sachet sans se salir les mains. Une petite carte postale donne la recette. «J’ai toujours envie de partager.» Le kit remporte un beau succès.
D’où l’idée de réitérer le principe avec une pâte à crêpe, peut-être l’an prochain.
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