Pour Joël Robuchon, Girardet reste «le plus grand d’entre nous» ()

portrait,gastronomie,girardet,robuchonLe chef aux 25 étoiles était de passage en Suisse. Rencontre avec un homme qui va se lancer à Bombay et à Bordeaux (photo Florian Cella)

Joël Robuchon a voyagé en hélicoptère entre Paris et la Suisse, et il a dû se faire violence, lui qui s’est juré de ne plus reprendre ce moyen de locomotion. Ce grand voyageur sillonne pourtant le monde pour voir ses différents établissements, cumulant 25 étoiles Michelin entre Paris, Monaco, Londres, Las Vegas, Hongkong, Tokyo, Bangkok, Beyrouth, Macao, Taipei et Singapour. Invité par Blancpain (lire ci-dessous), le chef en a profité pour revoir son vieux copain Fredy Girardet et ses deux successeurs.

A 68 ans, vous êtes plus actif que jamais. Comment faites-vous?

Mais j’ai la chance d’avoir une équipe extraordinaire qui m’entoure, comme Eric Bouchenoire qui est ici avec moi, un Meilleur Ouvrier de France, soit dit en passant. Et je dispose sur place de chefs que je choisis et qui font un très beau travail.

Vous proposez partout de la cuisine française…

Bien sûr. C’est la seule que je sais faire et c’est celle que nos clients viennent chercher chez nous. Mais, en même temps, je subis l’influence des pays où je suis installé.

Et qu’est-ce qui change par rapport au moment où vous étiez vous-même en cuisine?

Tout. Quand j’étais dans ma cuisine, je ne voyageais pas, j’étais dans ma bulle, un peu autiste. Depuis dix ou quinze ans que j’ai arrêté, j’ai davantage appris que pendant toute ma carrière.

Quoi, par exemple?

La Chine m’a beaucoup remis en question. Ici, nous nous attachons beaucoup aux saveurs. Là-bas, ce sont davantage les textures. Au Japon, j’ai appris la pureté, la maîtrise totale dans un respect des saisons, des techniques irréprochables.

Et le traitement des légumes?

J’attends beaucoup de Bombay, où nous allons bientôt ouvrir un restaurant. C’est de toute façon une question essentielle pour notre avenir puisque nous n’aurons jamais assez de viande et de poisson pour nourrir toute l’humanité dans le futur. Nous sommes déjà en train de dépeupler les océans. Alors l’Inde, avec ses épices et ses techniques, réussit à transformer de bêtes lentilles en un plat délicieux.

Vous vous intéressez à l’aspect médical de la cuisine?

J’ai travaillé avec des professeurs américains qui m’expliquaient qu’ils faisaient des traitements combinant des médicaments et des plats, et que cela marchait bien. De mon côté, j’essaie d’utiliser au maximum des produits bons pour la santé, par exemple des antioxydants comme le curcuma, le romarin, le thé blanc. Ou des combinaisons de gingembre, de poivre noir et d’ail.

La cuisine dans vingt ans?

Je ne sais pas. Mais les modes passent, elles ont fait du bien d’ailleurs – nouvelle cuisine, cuisine moléculaire – et on revient toujours à une cuisine de produits, c’est la base.

Vos liens avec la Suisse?

C’est d’abord mon amitié et mon respect total pour Fredy Girardet. C’est le plus grand d’entre nous. L’homme est extraordinaire et il était capable de faire quelque chose avec… rien. Philippe Rochat et Benoît Violier ont suivi. Benoît, c’est d’ailleurs moi qui l’ai envoyé à Crissier à l’époque. Voyez ce qu’il est devenu, j’y ai mangé hier soir. Et j’étais fasciné par les discours de Jean-Pascal Delamuraz. Quel orateur hors pair, à la hauteur du général de Gaulle!

"UN TRAVAIL IDENTIQUE"

Invité dans la manufacture de montres, Joël Robuchon ne tarit pas d’éloges sur les horlogers suisses: «C’est impressionnant, ce travail aussi méticuleux, le silence complet qui règne dans ces ateliers. Il y a une grande similitude avec ce qui se fait dans nos cuisines. Comme nous, ils ont une vraie passion pour leur travail, ils sont tellement fiers de ce qu’ils font.»

Pour le chef, la ressemblance va encore plus loin: «Ce sont des artistes. Ils sont à la recherche de la perfection absolue, comme nous le sommes. Imaginez! Ils polissent de minuscules pièces pour qu’elles soient belles alors que personne ne pourra jamais les admirer. C’est comme le commis qui bichonne des petits légumes que le client avalera en une bouchée.»

Pour sa première visite horlogère, Joël Robuchon a tiré des enseignements: «On apprend partout. Là, ils ont certains outils qui pourraient nous servir en cuisine. Et ils ont tant de respect, c’est une leçon d’humilité pour nous.»

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