Luc Massy, une locomotive à Lavaux ()

Le propriétaire du légendaire « Chemin de fer » a un mental de vainqueur, que ce soit dans son domaine du Clos du Boux ou en régate sur son voilier historique 6m50 SI.

« Les premières années, tu apprends le métier à la vigne et à la cave. Après, tu ne travailles plus, tu vis juste ta passion à 100%. » Luc Massy va vivre cet été sa quatrième Fête des Vignerons, de l’intérieur comme toujours avec toute sa famille. S’il a peu de souvenirs de celle de 1955 (il avait 3 ans), il a fait partie de la troupe de 100 Suisses tant pour celle de 1977 que pour celle de 1999. Cet été, il sera Conseiller de la Confrérie des Vignerons, atteint par la limite d’âge fixée pour la troupe prestigieuse. «Mais mes deux fils ont repris le flambeau : Benjamin est commandant des 100 Suisses de Lavaux et Gregory en est aussi. Ajoutez que ma femme Margaret est à la Saint-Martin et vous aurez le compte. »

Cette histoire de transmission, on la retrouve souvent dans les vignes. Les domaines passent ainsi de père en fils, ou en fille désormais. Celui des Massy est né grâce au grand-père Albert. Huitième enfant d’un fabricant de pierres d’horlogerie de L’Orient, né en 1876, il s’occupe d’abord d’administration et de comptabilité. En 1900, il part pour un court stage à Stuttgart qui se transforme en une expatriation en Sierra Leone, dans un comptoir colonial. Mais le Combier « africain » y attrape le paludisme et doit rentrer après trois ans. A la vallée de Joux, il préfère Epesses et le commerce de vins de Gustave Fonjallaz (grand-père de Patrick). Il y fait ses armes, y épouse Julienne Mégroz avant de se mettre à son compte en achetant des vignes.

Des vignes éloignées

Si les Massy ont toujours eu du nez, celui d’Albert pointe vers les « en là », ces parchets du bas du Dézaley, près de Rivaz, que les vignerons d’Epesses n’aiment pas trop parce qu’elles sont loin et difficiles à travailler. Albert les rachète, ainsi que ce nom de Chemin de Fer qu’il peut déposer en marque. C’est aujourd’hui un des chasselas les plus connus du pays, de Genève à Romanshorn. Il acquiert également les vignes et les deux maisons du Boux, à Epesses, la cave de 1800 et la demeure qui la surplombe, de 1640.

Les Massy ont toujours eu aussi du caractère, et c’est grâce à lui que les vignerons vaudois ne paient toujours pas d’impôt fédéral sur le vin. Alors que tous les recours sont épuisés et que Berne veut venir puiser dans les revenus des caves, Albert refuse et bloque la somme à la BCV. L’Office des poursuites saisit un de ses vases, sur lequel le vigneron a fait dessiner un ours bernois dévorant une grappe de raisins. Berne veut mettre ce vin aux enchères pour récupérer la taxe mais va finalement renoncer devant les deux manifestations des vignerons vaudois organisées face à la vente.

Un sacré Confrère

Quand « Le Colonel » décède en 1950, le domaine se divise entre les deux filles et les deux garçons, mais Jean-François suit la voie paternelle et, au fil du temps, récupère l’essentiel des vignes de son père. Comme lui, il sera aussi député au Grand Conseil, gradé à l’armée, syndic d’Epesses. Jean-François sera un des fondateurs d’une autre confrérie, celle du Guillon où il est resté jusqu’à sa mort en 2012. Son fils en sera bien évidemment un conseiller lui aussi,

Le jeune Luc, lui, a le caractère bien trempé dans les gènes, accolé à ce sens de l’amitié et de l’accueil. Comme son grand-père, il a la bougeotte, qui le fait partir trois ans voir ailleurs si le raisin est plus doré. De la Californie à l’Argentine ou au Maroc et en Australie, il découvre le monde. Mais il revient pour une autre de ses passions, la voile, histoire de prendre part en 1976 à la Tall Ships Race, qui le verra régater de Plymouth à New York et retour sur ces immenses et majestueux voiliers.

Charge de famille

Mais c’est aussi le moment de revenir au domaine, de s’associer avec son père, puis de rencontrer au Bal des vendanges une Ecossaise qui lui fera tourner la tête mieux que le chasselas. Margaret saura s’adapter à Lavaux, au domaine, à la Fête des Vignerons, à gérer cette grande et belle maison du Clos du Boux qui domine la route avec panache. Ensemble, ils auront Gregory il y a trente-sept ans et Benjamin trente-cinq. « Ils ont fait leur vie avant de revenir avec nous, Benjamin l’œnologue plutôt à la cave et à la vigne, Gregory à l’administration, les deux à la vente. »

La quatrième génération de Massy est donc sur les voies du succès derrière la locomotive Luc, qui va remettre une fois réglée cette histoire de nouveaux droits de succession agricoles où les bâtiments sont taxés en plein. « Je ne veux pas qu’ils aient des masses d’impôts à payer pour continuer l’aventure Massy. »

Le patron a la vision, comme il a su défendre la commercialisation de ses vins partout en Suisse ou à l’étranger. « On fait un merveilleux métier où on mélange la production, la transformation, le marketing et la vente. Mais c’est surtout un métier de contact, où chaque jour est différent. Quand, en plus, on le fait sur les plus belles vignes du monde, qui regardent ce lac exceptionnel… » 

Voilier ferroviaire

Oui, le lacustre ne s’est jamais arrêté, depuis ce 420 découvert à l’adolescence, sur lequel il embarque son père comme équipier, avant de faire des championnats suisses, européens ou mondiaux en 5,50. « Tu me proposes une semaine en croisière, je m’ennuie. J’aime la régate, la compétition, essayer de faire un tout petit mieux que l’autre. »

Et il y a surtout ce 6m50 SI acheté en 1971 sur lequel il régate toujours. « J’ai dû faire de grosses réparations l’an dernier qui m’ont coûté cher, mais il n’y a pas de sensations pareilles sur ce bateau incroyable, nerveux, délicat, proche de l’eau et qui ne pardonne rien. » Quand on sait que la série créée en 1907 est appelée « chemin de fer » – puisque les bateaux étaient faits pour être transportés en wagons ferroviaires – on se dit que la boucle est bouclée.

Article paru dans "Animan" de mai, spécial Fête des vignerons.

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