Aimer aider
Cette féministe dans l’âme y rencontre une liberté qui la séduit, et un homme qui lui plaît. «Quand c’est devenu sérieux, il a eu la trouille et est parti à Tahiti.» C’est pourtant lui qui deviendra le père de sa fille, Camille, quelques années plus tard, lors de retrouvailles. Dans sa famille, les femmes sont fortes et déterminées. Coraline, elle, veut s’engager humainement dans des causes qui lui plaisent… et voir du pays. Ce sera comme déléguée du CICR en Afrique et en Asie. «J’ai toujours aimé aider», explique celle qui a ensuite livré des repas chauds à domicile. Qui est bénévole à SOS Méditerranée. Qui offre 5% du produit des ventes de ses marchés de Noël à une organisation caritative. Qui reçoit chez elle dans le cadre des Tavolata, ces repas où l’on fait connaissance.
«Quand je suis arrivée dans le métier, on regardait les femmes comme des bêtes curieuses.»
Dans beaucoup de riches familles genevoises, «les garçons héritaient des banques et les filles des domaines agricoles», rigole-t-elle. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée avec cette cave de Hautecour, à Mont-sur-Rolle. Son père, qui la gérait de loin, et sa grand-mère, qui y habitait, meurent à une année d’intervalle. Coraline, dans la tradition, propose à ses frères de s’en occuper dès 1994. «Le vigneron a aussitôt démissionné! J’ai pris le poste de régisseur, j’aidais au pressoir, je faisais de la vente directe au domaine, j’ai fait le cours de marchand de vin à Changins, parce que je me voyais mal commencer un apprentissage de vigneron à cette époque.»
Domaine démantelé
Elle a l’énergie, l’enthousiasme et sait s’entourer de gens compétents. Comme elle le fera tout au long de ses aventures vinicoles… et de ses soucis familiaux. Parce qu’un de ses frères ne voit pas l’intérêt de garder Hautecour, l’hoirie le met en vente. Coraline réussit à racheter une maison et trois hectares de vignes, louant la cave au nouveau propriétaire jusqu’à ce qu’il la démantèle. Là encore, elle parvient à en sauver les foudres d’origine, déménagés chez Œnologie à Façon qui va vinifier sa récolte, cultivée par la famille Gallay.
C’est aussi l’occasion de découvrir une mallette datant de 1749, qui regroupe tous les documents du domaine. «Il y avait beaucoup de femmes, de filles, des Lullin, des Turettini, des familles genevoises à la tête de la maison.» Ni une ni deux, elle rebaptise la chose les Dames de Hautecour, avec un sens inné du marketing intelligent. «Quand je suis arrivée dans le métier, on regardait les femmes comme des bêtes curieuses, alors qu’aujourd’hui les vigneronnes sont devenues beaucoup plus nombreuses.»
Une cause qu’elle défendra avec passion, depuis la découverte à Asti des Donne del Vino, association regroupant 800 vigneronnes en 1996. Quand le Comptoir suisse lui propose un stand, elle veut tout de suite le partager avec ses collègues. En 1999, elle fonde les Artisanes de la Vigne et du Vin avec l’icône Marie-Thérèse Chappaz et la pionnière genevoise Françoise Berguer. «Ça a été une belle amitié. Quand j’ai quitté la présidence après quinze ans, j’ai démissionné de l’association pour laisser la place aux jeunes.» Elles sont 22 aujourd’hui, mais la fondatrice de DiVINes! a recensé une soixantaine de vigneronnes en Suisse. «Jusqu’à quand la question du genre sera une question? Aujourd’hui encore, j’ai des clients qui arrivent à la boutique et qui s’étonnent que je sois une femme…» se désole la conseillère de paroisse catholique de Rolle.
Cette amatrice de musique baroque chante dans le Chœur Cantabile de Crassier et garde du Festival d’Ambronay un souvenir ébloui. Elle aime lire aussi, par exemple dans son refuge, cette petite maison dans le Brionnais, au sud de la Bourgogne, sans la moindre vigne alentour. «L’état du monde et du climat m’inquiète. Là-bas, je suis hors de l’agitation, du bruit et de la fureur. J’aime le silence. Et en France je ne subis pas de discrimination parce que j’ai un nom à particule.» Dernière pirouette élégante.
Bio
1958 Naissance à Paris le 22 avril. 1979 Master en italien à Paris Sorbonne. 1981 Diplôme à l’Instituto per l’Arte e il Restauro, à Florence. 1982 Ouvre un atelier de restauration d’art à Versailles. 1984 Ouvre et dirige la filiale de l’Instituto per l’Art e il Restauro à Rome. 1988 Rencontre le futur père de sa fille, avant qu’il ne parte à Tahiti. 1989 Déléguée pour le CICR. 1993 Son père meurt d’un infarctus en Italie. Elle propose à ses frères de s’occuper du domaine au décès de sa grand-mère, en 1994. 1994 Cours de marchand de vin à Changins. 1996 Revoit le garçon rentré de Tahiti: Camille naît en 1997. 1999 Crée les Artisanes de la vigne et du vin avec Marie-Thérèse Chappaz et Françoise Berguer, qu’elle préside quinze ans. 2006 Présidente de la Fédération internationale des femmes du vin. 2021 Lance DiVINes!.