Le vin, une richesse devenue naturelle en Afrique du Sud ()

afsud.JPGLa vigne sud-africaine doit tout aux étrangers. D’abord au gouverneur hollandais Jan van Riebeeck, qui ordonna en 1659 la plantation de vignes, pour un résultat décevant. Puis, ce sont les protestants français, chassés par la Révocation de l’Edit de Nantes, en 1685, qui lanceront vraiment la viticulture dans le pays. On y cultive des vins locaux, des brandies et des vins mutés, qui commenceront à arriver en Europe en 1761.

Mais deux éléments vont handicaper la culture: le phylloxera, en 1880, qui détruit les vignes, et la création de la coopérative KWV, en 1918, regroupant 95% de la production, avec des rendements énormes et des prix fixés unilatéralement. Autant dire que la qualité n’y est plus. D’autant que le boycott du pays durant l’apartheid freine drastiquement les exportations. En 1990 encore, seuls 30% des raisins récoltés servaient à faire du vin, le reste étant utilisé pour la distillation, les jus de fruits et le raisin de table.

Liberté pour le vin!

La fin de l’apartheid va attiser les convoitises. Les Anglais et les Américains rachètent des domaines ou des caves. Les Français font de même. Et quelques Suisses se lancent (lire ci-dessous) avec plus ou moins de bonheur, de Donald Hess au millionnaire Raphaël Dornier. Les terres ne sont pas chères , le pays accorde de substantielles aides aux investissements et la main-d’œuvre reste très bon marché.

Si les uns (à l’image du Valaisan Jacques Germanier et de son African Terroir), vise surtout la quantité, d’autres essaient de produire ici des vins d’exception. Surtout, tous poursuivent une voie médiane entre des vinifications à l’européenne et celles dites «du Nouveau Monde». Comme le dit Andy Zimmermann, fondateur de Kapweine, qui importe plus de 150 vins sud-africains en Suisse, «ils cherchent des vins qui allient finesse, structure, concentration et facilité d’accès».

La course à la qualité

Bien sûr, la grande majorité des producteurs restent des caves coopératives ou des négociants qui produisent des marques plutôt que des vins de terroir. Mais les domaines rivalisent, eux, dans une catégorie supérieure. Ils essaient de se passer petit à petit de l’arrosage quasi général à l’époque, pour redonner aux vignes ce petit stress de la soif qui améliore la qualité du raisin. Ils engagent des œnologues talentueux, ce qui donne parfois droit à un véritable «mercato» des winemakers. Et ils investissent dans des installations modernes, dans un marketing solide et, souvent, dans de l’œnotourisme.

Résultat: les surfaces ne cessent d’augmenter (plus de 100 000 hectares en 2008), et les exportations aussi (407 millions de litres en 2008). Ces dernières ne représentaient que 20% de la production en 1997, elles sont près de 54% dix ans plus tard.

Car le vin de masse reste une affaire qui marche: on trouve par exemple un chenin blanc à 3 fr. 45 chez Denner. «Avec ce prix de main-d’œuvre, c’est clair qu’ils sont difficiles à battre», explique Christian Dutruy, qui a travaillé trois ans là-bas (lire ci-dessous). Mais une vraie culture du vin se met en place dans un pays qui découvre sa richesse naturelle. Des magazines spécialisés, des concours renommés émergent, ainsi qu’un guide qui s’impose comme la référence, le John Platter. La centaine de grands domaines du pays attend sa parution chaque année avec intérêt.

 


Dutruy.jpgMillionnaire (en litres) à 24 ans

Christian Dutruy, propriétaire avec son frère, Julien, des Frères Dutruy, à Founex, se rappelle avec émotion de ses trois ans
en Afrique du Sud. «J’avais fait une année en Californie et je pensais venir là juste pour un court séjour, en 1999. J’ai trouvé un stage chez Sonop, la cave de Jacques Germanier, où je donnais des coups de main. Après quelques semaines, on m’a proposé tout d’un coup de reprendre la gestion de la Cave Cilmor, à Worcester, une installation qui venait d’être terminée et que louait Jacques Germanier. J’avais 24 ans et je devais gérer près de 1,5 million de litres par année. C’était fou. J’y suis resté plus de trois ans avant de revenir ici, à Founex. Mais je garde toujours des contacts, j’y suis retourné et j’ai toujours la nostalgie.»

Pour le talentueux vigneron, le plus motivant était de participer à une aventure en plein essor. «On doublait la production d’une année à l’autre. Et le personnel était très motivé. Les employés avaient tout à apprendre, mais ils étaient hyperattentifs. Vous savez, là-bas, avoir un travail est déjà un luxe, alors on cherche à le faire au mieux.» Et Christian Dutruy regrette toujours les grands espaces qui lui manquent sur sa Côte lémanique.

 


VogelConne.jpgUne aventure à rebondissements

C’est en 1992 déjà que Jean Vogel, vigneron à Grandvaux, et Jean-Michel Conne, son confrère de Chexbres, tombent amoureux des vignes sud-africaines. Ils s’associent au Bernois Jean-Pierre Mürset et achètent un domaine de 54 hectares en 1993, dans la Devon Valley. Devon Hill est reconstruit en 1996, à temps pour la première récolte, en 1997. Mais les ennuis se succèdent, avec un manager et un œnologue incompétent qui leur font perdre une vendange entière. «C’est difficile de gérer à distance, reconnaît Jean Vogel aujourd’hui.
Il faut trouver des hommes de confiance sur place, leur enseigner notre rigueur. Mais c’est une aventure extraordinaire. En Suisse, nous autres vignerons, nous jardinons. Là-bas, il y a des espaces immenses, c’est un pays qui a beaucoup d’avenir. Et suivant les régions, l’Afrique du Sud peut rivaliser avec les meilleurs climats d’Europe pour la vigne.» Aujourd’hui, les deux Vaudois sont restés seuls propriétaires du domaine, dont ils ont vendu une partie. Ils sont également en train de céder leur marque, Devon Hill. «Mais je rachèterai un appartement là-bas pour ma retraite», promet Jean Vogel.

| Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vin, afrique du sud | |  Facebook |  Imprimer |