La bruyante naissance des barriques ()
Avant le silence des caves, les fûts connaissent le martèlement des tonneliers et la chaleur du feu. Visite chez Cadus, en Bourgogne, où naissent 16 000 pièces chaque année
Il y a le bruit, bien sûr, qui oblige chacun des 40 employés de la tonnellerie à porter des protections auriculaires. Il y a la chaleur des feux qui façonnent et chauffent les pièces de chêne. On est à Ladoix-Serrigny, à deux pas de Beaune, chez Cadus, une des 68 tonnelleries qui perpétuent la tradition française et qui exportent un peu partout dans le monde, dont la Suisse. La France fournit en effet plus de deux tiers des futailles utilisées sur le globe (près de 400 millions de francs de chiffre d’affaires en 2012). Chez Cadus, chaque année, 16 000 tonneaux sont fabriqués, principalement à la main, même si les machines sont venues aider l’homme dans cet artisanat de précision.
Au début, il y a le chêne, celui qui bonifiera les vins qui y séjourneront (2% seulement des crus du monde entier). Chez Cadus, il est forcément français. «Vous comprenez, en France, les merrains (planches) sont fendus, donc ils suivent les veines du tronc. A l’Est, ils sont souvent sciés, ce qui augmente le risque que les tonneaux fuient», explique Gilles Deschamps, un des commerciaux de l’entreprise. Mais l’origine du chêne peut être diverse tant le terroir, comme pour le vin, est importante. Dans les hauts de gamme, on cherchera les forêts centenaires des Bertranges, de Jupilles ou de Tronçais. Sinon, on choisira des régions, comme l’Allier ou les Vosges, voire des assemblages si on est un peu radin. L’œnologue choisira ensuite le grain du bois, d’extrafin à mi-fin, selon le vin qu’il veut produire. Reste encore à choisir la chauffe, de légère à intense. Mais là, on anticipe sur la fabrication.
Stock impressionnant
Les merrains, donc, sont empilés à l’extérieur de la tonnellerie, de manière à laisser passer l’air et la pluie. Ils y resteront deux ans et demi au minimum. «Vous voyez, ce lot-là, on l’a rentré en septembre 2010», affirme Gilles Deschamps en déchiffrant le code inscrit sur le bois. Avant de commencer la fabrication, il faut transformer le merrain en douelle, en le rabotant d’abord à l’extérieur (le dolage) pour que le milieu soit plus épais que les extrémités, puis en creusant l’intérieur avant de chanfreiner les côtés pour qu’ils s’adaptent à l’arrondi de la pièce (jointage). C’est là que la machine intervient, avec ses mesures au laser. Les menuisiers vont ensuite sélectionner les douelles pour alterner une large et une étroite. En les posant à plat sur un grand cadre, ils auront la mesure exacte du fût qui sera fabriqué grâce à une rangée. C’est à ce moment déjà qu’on indiquera l’endroit où sera percé le trou de la bonde.
A partir de là, place au tonnelier. Il va assembler à la main les douelles dans un grand cercle d’acier. La «rose», le fût de forme encore conique, sera ensuite chauffée pour qu’on puisse en courber les douelles à l’aide d’un grand câble métallique. On ajoute à nouveau des cercles avant de passer au moment de la chauffe, sur des braseros où brûlent les restes de chêne découpés. Selon le vœu de l’œnologue, la cuisson sera plus ou moins intense, plus ou moins longue. Le goût du vin qui y séjournera sera davantage sur le fruit ou sur des notes grillées, toastées.
Gâcher du beau bois
En regardant une pièce en fabrication, Gilles Deschamps ricane: «Prendre de l’extrafin de Tronçais et demander une chauffe importante, c’est ridicule! Mais le client est roi.» En l’occurrence, ce client-là est un grand château bordelais… «On fait souvent des essais avec les vignerons, pour voir quel type de fût convient à leur vin et à ce qu’ils veulent en faire. C’est pour cela que c’est important que nos produits soient réguliers.» Car ils seront souvent utilisés trois ou quatre ans seulement avant d’être remplacés.
La barrique bordelaise (225 l) ou la pièce bourguignonne (228 l) va ensuite être chanfreinée aux deux extrémités, on y creusera les rainures où s’inséreront les deux fonds. Puis viennent la mise en place des cercles définitifs, la pose de la bonde, les tests finaux, l’éventuel changement de douelle. Le bruit des marteaux continue, assourdissant. «Nos gars sont costauds. En général, ils prennent pas mal de muscles quand ils commencent ici», sourit Gilles Deschamps. A les voir déplacer les pièces de 50 kilos, on l’admet. Des pièces qui seront vendues entre 500 et 800 euros selon leur qualité (625 à 920 fr.). Chez Cadus, il n’y a quasi pas de stocks. On travaille sur commande.
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