La tomme au marc, vieille tradition ()

philippe_bujard.jpgPhilippe Bujard ressuscite chaque année la coutume d’affiner des fromages dans le marc qui fermente (Photo Vanessa Cardoso).

Comme chaque automne depuis l’an 2000, Philippe Bujard relance sa production de tommes affinées au marc, une production forcément saisonnière puisqu’elle ne peut se faire qu’après la vendange et le pressurage des raisins. Contrairement à pas mal de fromages français qui sont affinés à l’eau-de-vie de marc, type époisses, les tommes Bujard sont affinées dans le marc même encore en fermentation.

«C’est une des nombreuses choses que nous avions en commun avec les Savoyards», explique l’ingénieur œnologue dont le frère Beat-Louis exploite le domaine familial autour de La Combe, à Aran-Villette. «Nous partagions des cépages, le chasselas, l’altesse ou la mondeuse, par exemple. Mais aussi cette forme de domaine agricole multiforme, qui va du lac à la forêt, où le propriétaire avait un droit de pêche dans le lac, une vigne sur les coteaux, du bétail plus haut et encore une forêt derrière.»

Comme les Savoyards, donc, les paysans-viticulteurs de Lavaux combinaient leurs productions à l’automne. Une fois le rouge macéré puis pressé, on récupérait le marc qu’on faisait descendre à la cave par «la tine à marc». On le laissait ensuite fermenter dans de grands récipients fermés jusqu’au passage de l’alambic mobile dans le village, qui distillait alors l’eau-de-vie de marc. Comme les paysans avaient aussi des vaches, ils en profitaient pour mettre dans le marc en fermentation des tommes de vache mi-dures qui en tiraient une belle complexité d’arômes et de tanins. «J’ai connu les derniers paysans-vignerons de la région, les Cardinaux, les Testuz», explique Philippe Bujard.

Diplôme à Changins

C’est ainsi qu’il a décidé de relancer cette antique production, en tâtonnant un peu, en faisant ses essais. Et puis, à l’heure de son diplôme d’ingénieur à Changins, il en profite pour faire son travail de diplôme sur le sujet, en 2006. Aujourd’hui, il fabrique plusieurs centaines de pièces chaque automne: «C’est un produit qu’on vend de la Toussaint jusqu’à Carnaval», s’amuse-t-il.

Le fromage lui vient du Jura, une tomme mi-dure à croûte légèrement qui fait un peu penser à la tomme de Savoie. Le marc, c’est celui du pinot noir de son frère, même si, parfois, il faut aller en chercher un peu chez les copains. «Au début, je faisais de grandes pièces. Je me suis rendu compte que ce n’était pas facile à couper et à servir. J’ai demandé à mon fromager de les faire plus petites, ce qui ne l’arrange pas, puisque ce n’est pas ce qu’il fabrique normalement.»

La tomme reste environ un mois dans le marc: «Il faut suivre, si on laisse trop longtemps, le marc gagne trop, les goûts sont trop prononcés et, en Suisse, les gens n’ont pas l’habitude de cette puissance-là». La tomme présente ensuite une croûte originale, sur laquelle se sont collés peaux et pépins de raisin séchés. «J’en connais qui mangent mon fromage avec la croûte parce qu’ils aiment les choses fortes. Moi, je l’enlève, c’est quand même assez costaud», avoue le producteur.

S’il a tenté de protéger la marque, si certains fromagers ont essayé de venir voir comment il faisait, Philippe Bujard concède volontiers qu’il «n’a rien inventé. J’ai juste relancé une manière de faire.» Avec succès puisqu’aujourd’hui son fromage figure dans de grandes tables suisses, depuis Anne-Sophie Pic jusqu’au Palace ou au Chésery, à Gstaad, et chez quelques marchands réputés. Mais il en vend encore en direct.

Tomme Bujard affinée au marc, 34 fr. 50 le kilo (pièce de moins de 500 g). info@bujardmoser.com ou 079 300 35 81.

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