Le non-filtré, accident devenu spécialité ()
Aujourd’hui, 9% du chasselas neuchâtelois est vendu en «non-filtré», un vin trouble qui sort des caves à fin janvier déjà, lors de deux traditionnelles fêtes à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds. Le non-filtré? C’est un chasselas élevé tout à fait traditionnellement, mais qu’on met en bouteille sans… le filtrer, et ce dès le troisième mercredi de janvier. Les lies restent ainsi en suspension dans la bouteille, continuant à échanger avec le breuvage arômes et chimie.
«Quand je faisais l’école d’œnologie, à Changins, les autres se moquaient des Neuchâtelois et de leurs vins troubles. Aujourd’hui, je m’aperçois qu’on trouve des vins élevés sur lie dans les caves les plus renommées de Suisse», s’amuse Chantal Ritter Cochand, qui produit dans sa cave du Landeron environ 1500 litres de cette spécialité, à côté de toute une palette de cépages.
La sécheresse de 1974
Cette spécialité neuchâteloise n’existait pourtant pas il y a trente-cinq ans. Mais voilà: la récolte 1974 a été profondément réduite par la sécheresse. En juin 1976, à la cave de La Golée, à Auvernier, les clients s’impatientent puisque le millésime 1975 n’est pas encore en bouteilles et que le précédent est fini depuis longtemps. Henri-Alexandre Godet, le patron, fait le pas et descend mettre en bouteille un vin non filtré… C’est le début d’un succès de connaisseurs. Aujourd’hui, une trentaine de producteurs s’y sont mis, sous l’égide de l’Office des vins et des produits neuchâtelois qui y a trouvé un étendard pour les vins du canton.
Pour sa directrice, Edmée Rembault-Necker, le 2009 «offre une structure souple et ronde, accompagnée d’une fraîcheur légère». Il faut dire que la météo a été magnifique, avec 262 heures de soleil de plus que la moyenne annuelle. Et la présentation du non-filtré, sous le péristyle de l’Hôtel de ville de Neuchâtel, a été un succès, comme toujours.
«C’est impressionnant, raconte Chantal Ritter Cochand. Chacun de la trentaine de producteurs amène 24 à 36 bouteilles, et tout est bu!» Ce succès commercial ne cesse de progresser, et pas qu’à Neuchâtel. Les Suisses alémaniques ont découvert avec bonheur ce vin pas comme les autres, et font partie désormais des afficionados qui aiment le rituel du mois de janvier. «Ils ont présenté mon vin dans Schweizer Familie, et j’ai reçu 150 nouvelles commandes, c’est incroyable», s’amuse la vigneronne du Landeron.
«Vous savez, poursuit-elle, le non-filtré, c’est une sorte de retour aux sources. Mon grand-père, qui n’avait pas beaucoup de moyens technologiques, devait aussi faire du non-filtré naturellement. Et puis, avec ces lies en suspension, il y a un meilleur vieillissement.»
Quand Madame tient la vedette
L’histoire du domaine Ritter, au Landeron, est exemplaire. Les grands-parents travaillaient la terre, donc un peu la vigne. Leurs enfants, les parents de Chantal Ritter Cochand, ont préféré un métier moins dur. Chantal, elle, devient employée de commerce alors que son mari, Yves, est dessinateur géomètre. Ils décident pourtant de reprendre la vigne, alors réduite à 5000 m2. Chantal a fait œnologie, c’est elle qui mettra son nom sur les étiquettes. Yves garde un petit emploi. Ils rachètent du matériel, agrandissent leur domaine; Yves y entre à plein-temps, mais toujours sous son nom à elle. «Tant qu’il y a mon nom sur la sonnette», sourit-il…
Avec 4,5 hectares, les Ritter Cochand travaillent côte à côte, mais pas toujours ensemble. «Je n’aurais pas pu faire ça toute seule», affirme Chantal. «Mais on taille souvent des parcelles différentes. Yves s’occupe davantage de la vigne et moi de la cave.»
A côté du chasselas et du pinot noir, ils ont quelques spécialités, comme le doral. Le non-filtré, ils s’y sont mis il y a une douzaine d’années, «parce que c’est moins une tradition de ce côté du Littoral.» Elle ne fait pas de vinification particulière. «C’est souvent la première cuve qui termine ses fermentations.» Mais elle aime cette tradition, aussi parce «la fête à Neuchâtel est un joli point de comparaison entre producteurs, ça permet de voir ce que chacun a fait». Et le 2009? «Une superannée, aussi pour le non-filtré.»
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