Luc Dubouloz aime toujours rire dans les vignes de Lavaux ()
Le Genevois de naissance a repris la codirection des vignobles de la Ville de Lausanne, comme il a repris la guitare: avec passion.
Il grimace à peine pendant la rencontre malgré la douleur. Luc Dubouloz est tombé une dizaine de jours plus tôt dans l’escalier du chalet qu’il loue au val d’Anniviers, se fracturant trois côtes et souffrant d’un pneumothorax. Le quinquagénaire est un dur à la peine et il ne se plaint pas, même quand il grimpe lentement la pente ultraraide qui monte au clos des Abbayes, en plein Dézaley. Un vigneron, ici, a l’habitude des déclivités. Et cela fait un moment que le Genevois arpente ces vignobles classés à l’Unesco, dans deux domaines d’abord, puis pour la Ville de Lausanne depuis 2011.
Il est pourtant né à Genève, de parents qui n’avaient pas la fibre agricole. Mais trois domaines abritaient d’autres membres de la famille. «Mes parrain-marraine, qui étaient aussi mes oncle et tante, avaient une ferme à 100 mètres de chez nous, où j’étais très souvent fourré. On doit retrouver des photos de moi sur un tracteur dès l’âge de 2 mois. Mais je n’avais jamais songé à en faire mon métier.» La vie du coresponsable des vins de la Ville de Lausanne a en effet fait quelques zigzags, et on ne parle pas que de ski.
Luc Dubouloz aime en effet la montagne, passionnément. Il en a fait son terrain de jeu, plus jeune. Une dizaine d’années d’escalade dans les Alpes, à braver le vide en bonne compagnie. «Au fur et à mesure que j’ai perdu des copains, dont trois dans le même accident quand j’avais 24 ans, je me suis rendu compte du danger. Et comme c’est au même moment que je suis devenu père, et donc avec une charge de famille, je me suis calmé.»
Le goût de former
Aujourd’hui, la montagne, il y fait de grandes balades ou il la descend à ski. De piste. «Quand je vois certains qui font du ski de randonnée sous les téléphériques pour redescendre juste à côté de la piste, ça ne me fait pas envie.» Sa compagne, Anne Bussy, ayant pris du service à l’école de ski de Grimentz, il s’y est mis aussi depuis deux ans, sur ses vacances. «Tu dois obliger les jeunes à fermer leurs virages. Mais j’ai toujours adoré transmettre, former, ici aussi.» La Ville de Lausanne a enfin admis des apprentis dans ses vignes, qui tournent chaque année pour avoir une vision la plus large possible du métier.
Lui qui était plutôt doué à l’école s’en est désintéressé quand les cours sont devenus trop théoriques. «J’ai besoin de faire des choses, de les produire, de les finir.» Sorti du Collège Calvin, à Genève, c’est un conseiller en orientation professionnelle qui le remet sur la piste de l’agriculture, «histoire d’arrêter de m’ennuyer». Il trouve son destin à l’École professionnelle de Lullier, qui lui offre d’un coup cinq CFC, arboriculture fruitière et ornementale, maraîchage, production floricole et paysagère. «Ça veut juste dire cultures spéciales, hein!» Est-ce dû à son éducation genevoise? En tout cas, il parle cash, franchement, tout en réussissant à ménager ses interlocuteurs.
Et son destin le rattrape à son premier job, chez François Debluë, à Founex, où il était engagé pour s’occuper de la partie arboricole. «Il avait aussi un vignoble qu’il a développé, et il m’a fait confiance pour m’occuper de tout. Je lui dois beaucoup.» L’arrivée dans la vie active va lui faire arrêter la guitare, lui, le fan de rock. «Soyons honnêtes, j’avais des grattes acoustiques, surtout pour séduire les filles.» «C’est vrai qu’il chantait plus juste qu’il ne jouait», sourit son pote d’apprentissage Basile Aymon, avec qui il a aussi été beau-frère, avant de le retrouver comme responsable des vignes de Pully. Avec l’âge, Luc Dubouloz s’y est remis, passant aux guitares électriques qu’il chérit comme un vrai aficionado. «Je n’ai pas beaucoup de temps pour en jouer. Et puis, par moments, Anne me crie: «Elle n’est pas accordée, non?» Je comprends que ça veut dire qu’elle en a un peu marre de me voir massacrer mes morceaux.»
Grande intelligence
Autant le vigneron est chaleureux, autant il est pudique. «Il intériorise beaucoup, affirme Basile Aymon, mais il est sensible aussi. Surtout, il intellectualise beaucoup, il est très intelligent, il comprend tout tout de suite.» C’est sans doute comme ça qu’il en est venu à cogérer le plus grand domaine public de Suisse. Qu’il avait rejoint il y a dix ans, d’abord par amour. Associé au château du Crest, à Jussy (GE), et amoureux d’une Lausannoise pure souche était difficilement conciliable. «Nous avions envie de lancer quelque chose tous les deux, Anne et moi. Nous avons posé nos dossiers de candidature ensemble, elle pour tenir la maison d’hôtes du domaine du Burignon, moi comme tâcheron pour les vignes.»
Heureux de la nouvelle organisation, le voilà prêt à relever encore les manches. «Il y a des avantages à gérer un domaine communal où nous sommes devenus officiellement fonctionnaires, mais il faut aussi tenir compte du politique. Une municipalité urbaine de gauche pourrait moins comprendre les réalités de la terre, mais nous avons la chance d’avoir un superchef de service et une très bonne municipale.» Pour lui, l’équipe désormais en place a les outils pour tenir la barque dans cette période difficile dans la viticulture. «Nous avons mis de l’ordre dans les gammes, nous allons abandonner des microcuvées difficiles à vendre, sans doute changer certaines étiquettes.»«J’ai pris comme bonne résolution de ne plus rien faire qui m’emm…»
Comment faire sa place comme Genevois parmi les vignerons de Lavaux. «En montrant qu’on travaille bien, même dans un domaine public. Et gardant le contact aussi bien avec la ville qu’avec mes collègues vignerons.» L’homme manie la diplomatie avec grâce, affirme son copain Basile Aymon. Mais il ne veut pas s’embêter non plus: «Je continuerai tant que ça continue à me faire rire. J’ai pris comme bonne résolution de ne plus rien faire qui m’emm…» La montagne le gagnant toujours, lui qui y passe toutes ses vacances, dans la nature. Ils s’étaient même demandé, avec Anne, s’ils pourraient reprendre une cabane. Pour y rire à deux.
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