Le patron du Royal Savoy a fait le tour du monde pour mieux rapporter à Lausanne son savoir-vivre et son savoir-être. (Article paru dans 24 heures du 18 janvier, photo Patrick Martin)
Il a sur son visage ce petit sourire en coin qui reflète à la fois son sens de l’humour et la politesse de sa fonction. Alain Kropf manage le Royal Savoy, à Lausanne, avec cette élégance et cette délicate ironie au coin des yeux qui rendent ses clients et ses collaborateurs heureux. Pourtant, le Lausannois de naissance n’avait pas imaginé faire carrière dans l’hôtellerie. Tout ça, c’est la faute de sa sœur aînée, enfin du petit ami de sa sœur Sibylle, qui faisait l’École hôtelière de Lausanne et qui en parlait lors de ses visites à la maison. Poussé par sa mère, celui qui étudiait alors à l’École de comm’ monte au Chalet-à-Gobet, et il y rencontre une révélation.
«Il y avait, et il y a encore, quand vous arrivez là-bas, une énergie particulière, un sens de l’accueil, de la relation humaine, de la socialisation qui m’ont fasciné.» Tout au long de sa carrière internationale, cet aspect-là de son métier l’a toujours rendu heureux. «J’ai appris à aimer cette industrie, même si certains aspects au départ sont très durs, les horaires ou les salaires en particulier. Mais j’aime les gens, les rencontres, les découvertes.»
Le goût du voyage
Et les voyages, une autre des raisons qui l’ont poussé dans l’hôtellerie. Tout jeune, il feuilletait déjà les magazines «Géo» qu’achetaient ses parents. «En particulier, j’avais été fasciné par un numéro sur le Japon. Je rêvais de m’y rendre.» En famille, c’est lors de vacances européennes que son père, architecte, et sa mère, laborantine qui avait arrêté de travailler pour s’occuper de la fratrie, se reposaient. Au-delà, c’était encore l’aventure. «Pour mon premier job, à Hong Kong, en 1990, il n’y avait pas encore de vol direct. Et j’avais le droit à un téléphone de cinq minutes tous les quinze jours, cela coûtait si cher.»
L’homme qui voulait toujours partir ailleurs avait, en même temps, un petit pincement au cœur à chaque départ, attaché à ce coin de pays où il a fini par revenir en 2014, rappelé par les propriétaires qataris de cet hôtel lausannois en plein chantier à rebondissements. «Une époque délicate, avec tellement d’incertitudes, en particulier sur la date d’ouverture.» Mais le directeur général avoue une belle capacité de résilience et un optimisme qui lui font traverser les obstacles.
Abordable
Alain Kropf est «direct et franc», selon son ancien compétiteur devenu un grand ami, Jean-Jacques Gauer, alors directeur du Lausanne Palace. «Il travaille au plus près de sa conscience et il est très à l’écoute. J’aime sa simplicité et son accessibilité.» En effet, quand le patron traverse l’hôtel, il est facilement abordé par ses collaborateurs. Au moment où notre photographe lui tire le portrait, son directeur de la restauration, à peine engagé, le taquine d’un trait d’humour.
«J’essaie d’établir un management plus horizontal. Et, à l’heure où la profession peine à recruter, je pense qu’il est important de tenir compte du bien-être de nos employés.» Lui refuse d’établir des procédures standards pour son personnel. «Je leur dis: soyez vous-mêmes. Quand vous faites bien votre travail, vous rendez les gens heureux. Et c’est un des rares jobs où on a des retours immédiats, en bien ou en mal.» C’est à lui, aussi, qu’incombe la tâche d’écouter les clients insatisfaits, d’apporter des solutions. «Souvent, cela nous permet de nous améliorer, mais aussi d’établir une relation avec les hôtes une fois le problème résolu.»
Savoir recevoir
La relation humaine, encore et toujours. «Quoi de plus beau que faire plaisir? Certains ont une vision dénigrée de l’expression «être au service de…» Pourtant, c’est une fonction très noble. Quand je reçois mes parents, ma famille, des amis à la maison, je vais me soucier qu’ils soient bien accueillis, qu’ils apprécient le moment, la nourriture, les vins. Je suis à leur service. À l’hôtel, nous faisons la même chose.»
Mais jusqu’où peut aller ce souci devant des demandes extravagantes? «J’ai toujours travaillé dans des hôtels de luxe, de classe mais pas bling-bling, pas dans des palaces de prestige où on reçoit ce type d’exigences. C’est d’ailleurs aussi le style du Royal, nous offrons des services de qualité mais nous sommes un hôtel à taille humaine. J’aimerais en convaincre les Lausannois, les accueillir ici, qu’ils se sentent à l’aise pour un café ou un repas.»
Sa carrière lui a permis de faire de belles rencontres, du prince Charles au premier ministre britannique, et lui a même fait jouer les gardes du corps pour Michael Jackson. «C’est formidable. Dernièrement, j’ai fait la connaissance de la journaliste Natacha Polony – dont je lis justement l’essai «Changer la vie» – et de son mari Périco Légasse: ce sont de beaux moments.» Mais l’«aubergiste du coin» aime aussi rencontrer des gens moins célèbres, dont certains deviennent des amis. «Attention, il faut aussi savoir garder sa place, ne pas se croire arrivé quand on est à ce poste.»
Un triathlète
Sa carrure fine camoufle un grand sportif, avec, entre autres, douze ans de triathlon, un sport découvert à Abu Dhabi et qui l’a amené à faire des Iron Man. «Avec l’âge, je me suis un peu calmé, mais je fais toujours beaucoup de vélo et je me suis mis au golf. Le sport est ma thérapie, après, je me sens au top.»
Le garçon, toujours «souriant et charmant», selon Jean-Jacques Gauer, partage avec son épouse des balades dans la nature, des soirées culturelles, comme dans cette cave à jazz bernoise qu’ils viennent de découvrir, et des voyages, bien sûr. Il aime aussi transmettre, comme dans le mentoring qu’il fait pour l’EHL et qu’il souhaiterait développer. Entre-temps, «je reste un entrepreneur qui a le luxe d’être salarié», dernier trait d’humour lâché avec élégance.
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Bio
1965 Naît le 20 février à Lausanne, après deux grandes sœurs. Son père est architecte, sa mère laborantine.
1986 Termine l’École de Commerce à Lausanne. Commence l’École hôtelière de Lausanne.
1990 Bachelor à l’EHL. Part à Hong Kong, au Hilton.
1995 Montreux Palace, gestion des événements. Épouse Bente, docteure en biologie.
1999 Food and Beverage Manager du Al Bustan Palace, à Oman.
2001 Naissance de Julien, aujourd’hui étudiant en musique à Londres.
2005 MBA à l’Université de Warwick (GB). Manager puis directeur général du Rotana Hotels and Resorts, Abu Dhabi.
2013 Directeur du Shangri-La, à Djakarta, Indonésie.
2014 Directeur général du Royal Savoy.
2016 Après un «soft-opening» fin 2015, ouverture totale du palace lausannois en septembre.