La crise du lait et la révolte du monde paysan m'ont inspiré une réflexion qui a été publiée par 24 heures ce vendredi. Je vous la livre telle quelle.
Ils ont défilé en tracteur au centre-ville, leur dernier espoir de voir leurs concitoyens leur accorder un peu d’attention. L’action est symbolique, sans réel effet, et ne sauvera pas une profession en péril. On ne compte plus le nombre de divorces et de suicides dans le milieu de la terre, le nombre d’exploitations qui ferment, conséquences tragiques d’un monde qui a oublié ses pères nourriciers.
Si la société d’aujourd’hui admire les chercheurs de pointe et s’émerveille devant des financiers dont la seule culture est l’argent, plus personne ne respecte ceux qui répondent encore à notre besoin primaire: manger.
Après la guerre, pourtant, dans un pays dévasté, les paysans ont été choyés, soutenus, considérés parce qu’une population en manque les voyait comme des héros, ceux qui allaient juguler la pénurie chronique de légumes, de lait et de viande. Au parlement, leur lobby était puissant, capable d’imposer des subsides ou de voter des lois protectionnistes.
Mais voilà, toute chose a sa fin, et la Suisse s’est enrichie, embourgeoisée. Repue, elle a, peu à peu, porté un autre regard sur ces fermiers qui lui coûtaient. Tandis que le monde changeait, que les légumes espagnols ou les oranges marocaines proliféraient sur nos étals, les paysans, d’abord, n’ont rien vu venir. Comment auraient-ils pu imaginer qu’on ne les aime plus autant?
Autour d’eux, toute une économie s’est créée, faite de transformateurs et de distributeurs, qui ont gentiment pris le pouvoir sur le marché. Alors que les paysans, aujourd’hui, peinent à boucler leurs fins de mois, l’agroalimentaire et les chaînes de supermarchés affichent de très beaux bénéfices, bénéfices qu’ils assurent en négociant très durement avec les producteurs. Ce sont eux qui tiennent le couteau par le manche, qui fixent le prix du bœuf ou du porc, du lait ou des pommes. Les deux principaux acteurs de la grande distribution, coopératives à but social, auraient-ils oublié les préceptes de leurs fondateurs? Ou ne font-ils que répondre à la demande d’un monde qui veut toujours payer moins cher, sans se soucier des conséquences sur la qualité des produits?
Les paysans, eux, essaient de s’adapter, avec courage et intelligence souvent. Sur une surface agricole qu’on grignote chaque jour, dans un pays qui multiplie les règlements, dans une société qui les veut toujours plus bio, rien n’est fait pour les aider. Ils sont devenus entrepreneurs et ont appris à gérer toutes ces contraintes. Mais, par-dessus tout, ils aiment toujours leur métier, leur terre, leur bétail avec une passion qui défie les lois du marché. Ils sont fiers de leurs produits et se désespèrent qu’on ne veuille plus payer le prix de leur travail.
Les consommateurs, certes, ont changé, redécouvrant les mérites d’une agriculture de proximité, prononçant le mot «terroir» avec gourmandise, achetant qui au marché, qui à la ferme. Mais cela ne les empêche pas de chercher les fraises les moins chères au supermarché du coin ou de râler contre le prix du filet de bœuf chez leur boucher. C’est bien la dualité du client que nous sommes, redécouvrant des valeurs terriennes que nous avions oubliées, tout en jonglant avec notre porte-monnaie. Mais, franchement, qu’on leur paie le lait à 1 franc, ça vous ruinerait?