A Aigle, Pierre-Alain Schweizer a converti en 2008 son domaine à cette façon de cultiver qui enrichit le sol. Il y produit légumes et céréales
Les participants à notre balade 24 Terroirs d’aujourd’hui vont faire la connaissance d’une céréale rare pendant leur périple: l’engrain, une des premières domestiquées par l’homme, puisqu’on a retrouvé des traces de sa culture déjà 7500 ans avant Jésus-Christ. Cet ancêtre de notre blé moderne (issu d’un croisement d’engrain et d’une égilope) a progressivement été abandonné parce que son rendement est plutôt faible et que sa teneur en gluten est basse. Pourtant, cette céréale se développe fort bien sur des sols pauvres, convient parfaitement à l’agriculture biologique et est riche en sels minéraux. Des raisons qui ont poussé Pierre-Alain Schweizer, après deux ans d’essai, à développer la culture de l’engrain (appelé aussi petite épeautre, quand bien même il a peu de rapport avec l’épeautre). «Je me suis toujours intéressé aux céréales dites «nouvelles», même si l’engrain est très ancien, explique l’agriculteur. Là, c’est le président de Bio Vaud, Cédric Chezeaux, qui m’en a parlé et qui m’a fourni les premières semences.»
Les déclics du destin
Il cultive donc cet engrain, du blé, de l’épeautre et du maïs sur son domaine de la Perrole, au sud d’Aigle, parmi d’autres céréales. En fait, Pierre-Alain Schweizer a commencé sa carrière comme serrurier de construction, avant de devenir dessinateur en bâtiment. Mais la vie de bureau, ce n’était pas son truc. Alors qu’il n’avait plus de travail, il se décide à reprendre le tout petit domaine de son père, en 2001. Il l’agrandit petit à petit, même si, aujourd’hui, il ne fait toujours «que» 18 hectares, une surface peu rentable si on fait des grandes cultures.
Il faudra attendre 2008 pour que le producteur ait deux déclics. Le premier lorsqu’il tombe sur un reportage français sur les AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), qui se rapprochent de ce qu’on appelle chez nous les paniers paysans. Pierre-Alain Schweizer décide de consacrer une partie de ses terres aux légumes et cherche quelqu’un pour l’aider. Il rencontre alors une maraîchère qui travaille en biodynamie, et c’est le deuxième déclic. «Je suis allé suivre des cours, et j’ai reçu une belle claque. Cela a été une vraie remise en question. J’ai découvert que la biodynamie entretenait les sols, qu’elle y faisait renaître toute une vie microbienne que l’on détruit avec des cultures classiques.» Et les traitements qu’il effectuait avant ne lui donnaient pas envie de manger ses propres légumes.
«Je ne critique personne, chacun fait comme il le pense. Je ne suis pas là pour donner des leçons», explique-t-il tranquillement. Il a donc reconverti tout son domaine, qui arbore déjà le label bio Bourgeon et qui devrait obtenir rapidement celui de Demeter. De cette nouvelle philosophie, Pierre-Alain Schweizer respecte tout ou presque. «Quand on y arrive, on respecte le calendrier lunaire, mais ce n’est pas toujours facile, particulièrement ce printemps», sourit-il. Il prépare ses bouses de corne, ses composts d’herbes pour enrichir et entretenir les sols. Il ne travaille pas les terrains dans de mauvaises conditions, par exemple quand ils sont détrempés. «Il y a davantage d’exploitations biodynamiques en Suisse alémanique. En Suisse romande, on est peu nombreux.» Dans tout le pays, Demeter ne recense que quelques centaines d’exploitations qui suivent les principes de Rudolf Steiner.
Un grand réseau
Autour de lui, Pierre-Alain Schweizer peut désormais compter sur une association, Pour la Perrole, qui vise à tisser des liens entre le domaine et la population alentours, et qui s’occupe de tout ce qui a trait à la biodiversité. C’est ainsi que des visites ou des ateliers se passent ici, ou que des bénévoles l’aident à préparer ses paniers paysans. «Quand je suis crevé après les grosses journées que je fais ici, rencontrer mes clients au magasin ou les bénévoles de l’association, ça me regonfle, c’est comme de sentir une grande famille autour de nous.»
Les légumes qu’il cultive désormais sur 2,5 ha sont vendus dans ses paniers, au marché ou au magasin du domaine. La Pinte du Paradis, à Aigle, qui se fournit en céréales et en farine ici, en prend également beaucoup. Car la Perrole a son propre moulin, livrant ses farines à Manor ou à deux boulangers aiglons. Il fait même de la polenta.
www.pourlaperrole.ch, le site de l’association.
Pierre-Alain Schweizer est au marché d’Aigle le mardi et son magasin est ouvert jeudi et vendredi de 16 h 30 à 18 h 30.
LA RECETTE
Risotto d’engrain aux poireaux
Pour quatre: 3 poireaux, 250 g d’engrain, 7,5 dl de bouillon de légumes, 1 dl de vin blanc sec, parmesan râpé, 55 g de beurre.
Préparation: émincez les poireaux finement. Faites fondre 25 g de beurre dans une sauteuse. Mettez-y à étuver les poireaux sans qu’ils brunissent (5 min.). Pendant ce temps, faites tremper l’engrain pour éliminer les coques superflues puis ôtez l’eau. Ajoutez l’engrain dans la sauteuse. Remuez 2 min. à feu vif. Ajoutez le vin blanc et attendez qu’il s’évapore. Baissez le feu. Ajoutez 1 louche de bouillon, attendez qu’il soit totalement absorbé puis recommencez l’opération jusqu’à ce que tout le bouillon soit utilisé (35 min. environ). En dehors du feu, ajoutez 30 g de beurre. Poivrez franchement et ajoutez du parmesan râpé. Remuez la préparation, puis laissez-la reposer 3 min. hors du feu à couvert. Rectifiez l’assaisonnement et servez bien chaud.