Au Sentier, les Brunisso sont les derniers à fabriquer la saucisse aux choux-raves, spécialité de la Vallée
Quand on rentre dans la Boucherie Brunisso, au Sentier, tout respire la bonne humeur. Au comptoir, il y a Myriam, la patronne, qui fait aussi des services traiteur dans toute la région. Au laboratoire, il y a Daniel, visage souriant, fan invétéré du Lausanne HC qui offre chaque été un barbecue à l’équipe pendant les Hockeyades. Des sept boucheries de la région, il n’en reste que deux. Et les Brunisso sont désormais seuls au poste, sans employé, parce que «c’est trop compliqué».
La boucherie avait été reprise par les parents en 1968 et cela fait quarante ans que Daniel y travaille, après son apprentissage chez Bühlmann, à Orbe. Il l’a reprise avec Myriam en 1987, et continue à tout y préparer lui-même, même s’il n’abat plus de bêtes depuis quelque temps. Saucisson, pâté en croûte, terrine sont donc authentiques et Daniel n’est pas peu fier de sa dernière idée: un saucisson à la gentiane, depuis que Les Charbonnières s’en sont proclamés la capitale. Cuite ou séchée, la préparation a demandé pas mal de tests avant de trouver le bon dosage.
A cause de Berne et du climat
Surtout, les Brunisso sont les derniers à fabriquer la frâche, cette déclinaison locale de la saucisse aux choux. La spécialité vaudoise est due aux Bernois, dont le bailli avait institué une dîme sur les produits de charcuterie. Pour compenser la perte, les charcutiers du canton avaient donc remplacé un peu de viande par du chou cuit. Mais, à la vallée de Joux, le chou pousse mal pour cause d’altitude. Les Combiers avaient donc remplacé, eux, la viande par du chou-rave, plus adapté au climat.
«Des fois, quand je ne trouve plus de chou-rave parce qu’il n’y a plus beaucoup de paysans qui en produisent, alors je mets du chou, mais cru, pas cuit comme mes confrères.» Dans le laboratoire aux machines d’un rouge pétant malgré leur ancienneté, Daniel Brunisso passe donc au hachoir (5 mm) la viande, le gras indispensable et les légumes, «mais pas de foie», avant de mettre le tout dans le pétrin assaisonné d’un mélange d’épices «forcément secret». «Ce sont encore les machines de mes parents: elles sont increvables.» Après un quart d’heure de pétrissage, on transvase dans l’antique poussoir, qui remplira le boyau du mélange. Daniel ficelle les extrémités à la main: «Bien sûr, dans les boucheries industrielles, ils ont des machines pour ça.» Puis les saucisses prendront place trois jours dans le fumoir à l’ancienne dans lequel Daniel fait bourronner tous les soirs de la sciure. «Du sapin de la Vallée, attention! Et tout doucement, hein, pas plus de 20 degrés.»
Davantage de douceur
L’avantage du chou-rave est qu’il est moins acide que le chou, et la saucisse est donc plus douce. On la cuit comme sa cousine aux choux ou selon la recette de Myriam: «On coupe du chou-rave en rondelles, on les met dans un peu d’eau avec des oignons et on cuit la frâche par-dessus, c’est magnifique!» Cette saucisse attire des clients de Genève au Valais, et on la trouve parfois dans des restaurants de la région. «Quand on arrêtera, personne ne reprendra notre boucherie, je pense, ni la recette de la frâche. Elle disparaîtra.»