Depuis vingt ans, la plus célèbre région de Hongrie fait revivre le «vin des rois». En particulier par l’association Renaissance
István Pokorádi, ambassadeur hongrois auprès de l’OMC, est un fou de tokaj, ce vin liquoreux qui séduisait déjà Louis XIV, au point qu’il l’aurait qualifié de «vin des rois, roi des vins». A peine installé à Genève, l’ambassadeur a donc organisé pour ses collègues une grande dégustation avec l’association Tokaj Renaissance, qui regroupe seize domaines pointus de la maison. C’était l’occasion de replonger à la fois dans l’histoire et dans l’avenir. L’histoire parce que le tokaj connaissait déjà la culture de la vigne du temps des Romains, parce que c’est la première région dont le terroir a été formellement délimité, en 1737, par le roi Charles III. L’histoire parce que ce vin fascinait Voltaire, Goethe, Schubert ou Catherine II de Russie. Mais il a failli se diluer dans les affres du communisme productiviste, le régime ayant fait arracher les coteaux difficiles à cultiver pour planter en plaine, là où la vigne donnait à outrance.
Une longue histoire
«Le tokaj a une longue histoire, mais il a connu une parenthèse d’une quarantaine d’années avant de renaître dans les années 1990, lorsque les terres ont été redistribuées», explique Laszlo Meszcaros, directeur du Domaine Disznókó et membre de Tokaj Renaissance. «Aujourd’hui, il y a beaucoup de jeunes domaines plein d’ambition.» Disznõkõ a été refondé en 1992 par le groupe AXA Millésimes, la filiale viticole de l’assureur français. C’est le symbole de l’intérêt manifesté par des investisseurs pour ce vignoble, intérêt tel que le Gouvernement avait interdit les achats de vignobles par des étrangers.
Il y a donc, dans cette association d’avenir, des petits producteurs comme des grands groupes, des aristocrates revenus au pays (Gróf Degenfeld) comme des musiciens passionnés qui font leur vin «à l’ancienne» (Tokaj Classic).
Tous ont retrouvé les terroirs historiques, ces coteaux entre 200 et 400 m d’altitude où poussent d’abord le furmint et le hárslevelü, ces cépages à l’acidité vivace et au bouquet complexe qui constituent 90% des vignes. Ici, on en tire trois types de vins. Des blancs secs, évidemment, tendus, modernes, des vins de gastronomie. Mais la région a aussi été la première à découvrir les vertus du botrytis, cette pourriture noble qui fait les grands liquoreux. Les vendanges tardives donnent de beaux crus, dont la fraîcheur aérienne fait oublier les taux de sucre importants.
Et puis il y a les mythes, uniques au monde, ces aszú incomparables. Pour y parvenir, il faut d’abord un beau millésime, qui permettra de laisser les raisins être attaqués par le botrytis avant qu’on les laisse passeriller, se dessécher pour obtenir quasi des raisins secs. Les précieuses baies sont vendangées une à une avant d’être placées dans des bacs, sans pressurage. Il s’en écoule un nectar, l’eszencia, qui contient entre 600 et 900 g de sucre au litre (du fructose), qui pourra entrer dans des assemblages.
Les grains, eux, seront mis à macérer entre 12 et 60 heures soit dans du moût, soit dans un vin en pleine fermentation (opération plus délicate), pour lui apporter leurs parfums et leur douceur. La gradation des puttonyos (de 3 à 6) permet d’apprécier la sucrosité du vin. Mais tous gardent surtout cette vivacité qui leur évite lourdeur ou sensation de sirop.
L’élevage en barriques de chêne de Zemplén, dans ces caves humides creusées dans la roche, à la température constante, ajoute encore à la complexité de ces crus hors norme qui sont repartis à la conquête du monde avec de beaux arguments.
Les trois sortes de blancs du Tokaj
Les blancs secs
Les ordinarium ont aujourd’hui les noms de leur cépage. Comme ce furmint 2011 d’Orosz Gábor, fermenté et élevé onze mois en fûts de chêne. Nez de pêche, de rose et de cire, bouche grasse, riche, fraîche. Ou ce furmint 2011 de Dobogó, aussi fermenté et élevé 11 mois en fûts. Plus végétal, bouche longue, complexe, saline. Ou enfin cet hárslevelú 2012 de Tokaj Nobilis, fermenté sans levure, élevé huit mois sous bois. Lychee, amande et tilleul, presque doux en finale.
Les vendanges tardives
On dit que c’est ici qu’ont été découvertes les vertus du botrytis sur le vin. Ces vendanges tardives peuvent être élevées sous bois un à deux ans pour devenir des szamorodni. On a aimé ce furmint vendanges tardives 2010 de Barta Pince, au nez de sous-bois et de rose, de citron confit. L’acidité fait oublier les 109 g de sucres résiduels. Le Magita 2008 du Domaine Béres avait un nez très muscat, avec des pointes de truffe blanche et d’orange confite, avant une bouche enrobée, plus douce.
Les aszú
L’aristocratie des vins de Tokaj offre des complexités magnifiques. Comme le aszú 5 Puttonyos 2007 de Derszla, au nez d’abricot et de fruits secs, à la bouche à l’acidité pointue, avec des notes de noix et une finale exotique. Un tout grand vin. Le 6 Puttonyos 2006 de Tokaj Classic est fait «à l’ancienne», avec une fermentation au frais, à la cave, pendant deux ans. Nez d’abricot, de miel, d’épices, bouche chaude. Une merveille. Et le 2002 de Disznókó sent l’abricot sec et le miel, avec une bouche interminable.
Fiche technique
Où?
Le Tokaj se situe au nord-est de la Hongrie, à proximité de la frontière slovaque et ukrainienne. Son aire de production compte 5500 ha, sur 27 communes.
Quoi?
Le Tokaj produit des vins blancs à partir de six cépages. Le furmint, un ancien cépage à maturation tardive, représente 60% du vignoble, suivi du hárslevelü, plus aromatique (30%).
Comment?
L’élaboration des aszú, en faisant macérer des grains botrytisés et passerillés dans des vins, est unique au monde.
Et chez nous?
On en trouve chez Avina-Saveurs à Vevey (Dereszla, Szepsy, Degenfeld, Tokajicum), à La Couleur du Vin (Dereszla), chez CAVE (Samuel Tinon), Moevenpick (Oremus) ou sur www.tokajissime.ch.