Le vigneron Gilles Wannaz utilise la plante dans une gamme de produits qui respectent son concept de biodynamie
Avec Gilles Wannaz, la Tour de Chenaux, à Grandvaux, porte à la fois la marque des siècles qu’elle a traversés et les promesses d’un monde à venir. Parce que le vigneron est conscient de sa responsabilité de passeur pour l’histoire. Et parce qu’il veut laisser un monde plus propre à l’avenir. Cela fait plus de dix ans qu’il cultive ses 4,5 hectares en biodynamie, ce qui en fait un des pionniers du genre. Et il est prêt à pousser le concept jusqu’au bout de sa logique, même si le millésime 2014 n’est pas arrivé jusqu’à sa cave. «L’idée, c’était de limiter encore plus les traitements, pour voir si la plante développait ses propres anticorps contre les maladies.» Mais la terrible météo a eu raison de ses efforts. Depuis deux ans, il développe avec sa compagne Merjem un concept d’Epicerie de la vigne. Il a ainsi imaginé toute une série de produits autour de la plante elle-même, des vignobles, de la cave, qu’il utilise bien sûr dans ces événements, ces «expériences», qu’il réalise comme traiteur. «On a aussi fait une réflexion culinaire sur le sens de la nourriture, sur le design alimentaire.»
Et c’est fou ce qu’on peut imaginer dans un domaine viticole. Il y a du mobilier, comme ces tables suspendues créées avec des fonds et des cercles métalliques de barrique, ces appliques électriques à base d’échalas. «Ça permet aussi de refinancer notre travail.» En passant, il a broyé ses vieux ceps pour en faire un combustible à barbecue ou mis ses bouchons de liège dans l’alcool pour créer des allume-feu, les Bouche-bouchons.
Mais c’est bien dans le domaine des aliments que l’Epicerie de vigne a le plus inventé. «On voulait augmenter le nombre de choses utilisées dans notre culture plutôt que de faire «juste» du vin. Et il y a un cycle tout au long de l’année.» Pour lui, la biodynamie permet de comprendre les infinies interactions entre la terre, la nature et l’homme.
Les produits de l’année
On commence donc par l’ébourgeonnage, le 1er travail dans la vigne qui pousse. Gilles Wannaz a décidé de récupérer les bourgeons et de les traiter comme du thé, gentiment fermenté puis séché doucement. «J’avais commencé par distinguer les différents cépages mais ça devenait compliqué. Mais c’est génial, ça nous fait entrer dans une autre grande civilisation, celle du thé.» Pendant l’été, dans ces parcelles en biodynamie ou sur les herbiers voisins, il est temps de ramasser le millepertuis, de cueillir les fleurs de tilleuls dont on fait des infusions. Avant la vendange, quand on supprime les grappes excédentaires, Wannaz en fait du verjus, ce condiment plus doux que le vinaigre et que redécouvrent les cuisiniers.
Sel, poivre et parfum
Au moment de la vendange, le vigneron fait subir un pressurage délicat à ses grappes. Il peut donc distiller ce qui reste pour obtenir un hydrolat de raisin, qu’il mélange à des huiles essentielles pour obtenir une brume de vigne, un parfum en vaporisateur qu’on utilise en cosmétique ou pour des soins. Les pépins, torréfiés, donnent un poivre de vigne aux saveurs insoupçonnables. Il vous manque le sel pour aller avec? Gilles Wannaz récupère la gravelle de ses tonneaux, ce précipité de tartre qu’il transforme légèrement pour en faire un condiment très riche en goût.
Le plus étonnant est sans doute cette raisinée de vigne qu’il fait après avoir taillé ses plantes: il fait cuire longuement les bois de vigne dans un chaudron, comme pour la raisinée de pommes et de poires, afin d’obtenir une pâte de la même consistance. Il la mélange ensuite à du sucre et de la crème pour créer une pâte à tartiner délicieuse. Il la combine avec du chocolat pour des plaques haut de gamme. «C’est un adjuvant tannique formidable pour le cacao!» Le vigneron s’enthousiasme toujours à 50 ans: «Chaque fois qu’on trouve un truc, cela ne fait qu’ouvrir des portes vers d’autres choses. C’est génial!»
Une épicerie si discrète
Les différents produits de l’Epicerie de la vigne peuvent être achetés tous les jeudis soir au domaine, pendant les Jeudi vins, de 17 h à 21 h, où une gamme de vins au verre et de «miams» est proposée. Sinon, on peut les commander sur le site internet du vigneron ou par téléphone. Ces produits sont faits en petites quantités, donc les réserves sont plutôt limitées. Le sel de vigne, par exemple, est en rupture de stock et il faudra attendre des mois pour que Wannaz ait assez de gravelle pour en refaire.
Les prix vont de 7 fr. (les fleurs de tilleul) à 35 fr. (brume de vigne). Des cagettes bio de produits sont également proposées. Le mobilier est plus cher, comme ces Suspenz, les couvercles de barrique transformés en tables suspendues, à 498 fr.