
Le jeune ingénieur s’est pris de passion pour le travail de l’acier, dont il tire de superbes couteaux personnalisés. (Photo: Julien Guiraud en plein martelage, © Patrick Martin/24 heures)
Dans le petit atelier qu’il s’est construit à l’entrée de Cuarnens, la forge est minuscule, alimentée au gaz. Normal, Julien Guiraud n’y travaille l’acier qu’en petits blocs, dont il fait des couteaux de cuisine ou de table. «Mon four peut monter à 1200 °C, c’est largement suffisant et c’est rapide à mettre en chauffe.» Avant, le trentenaire travaillait sur une forge au charbon, plus aléatoire et dont les températures extrêmes pouvaient transformer le métal en liquide si on ne le surveillait pas assez.
En fait, Julien Guiraud est ingénieur qualité dans l’aérospatiale, venu il y a sept ans travailler dans une start-up de l’EPFL depuis sa France natale. Mais ingénieur, «c’est être derrière son ordinateur toute la journée, je voulais faire quelque chose de plus manuel». Il découvre le monde des couteaux artisanaux lors d’un voyage en Laponie et décide de se lancer. «Je ne pensais pas qu’on pouvait faire des choses aussi belles de ses mains.»
Autodidacte
Après être allé au Musée du fer de Vallorbe, le jeune homme fait une première formation dans l’excellente Forge du Morget, à Étoy, où Stéphane Anken propose des cours. Il poursuit en autodidacte, suivant des vidéos, lisant des livres, prenant des renseignements. Et Julien est ingénieur, donc il sait décortiquer un processus, se rappelle ses cours de chimie des matériaux qu’il n’aimait guère mais qui lui deviennent utiles. Il fait ses essais chez deux forgerons qui lui louent une partie de leur atelier: «Au début, c’était vraiment l’apprentissage par l’erreur, avec une masse de déchets», sourit-il. Mais le métier commence à entrer et il trouve ce local où il a emménagé en juillet, avec ses propres machines et outils. Il y œuvre à 40%, conservant un emploi dans l’aérospatiale.
Si le Festival des couteliers de Vallorbe présentera notamment le travail de neuf couteliers vaudois, beaucoup d’entre eux sont davantage orientés vers le couteau côté nature. Comme Stéphane Anken, Julien Guiraud propose des lames pour la cuisine ou la table, en acier inox ou en acier damassé. L’inox contient évidemment du fer et du carbone, comme tout acier, mais également une dizaine de pour-cent de chrome pour éviter que l’acier rouille. «Mais il est beaucoup moins solide. Vous allez l’aiguiser souvent, alors que mes lames en acier damassé tiennent jusqu’à une année entière sans voir l’aiguisoir.»
Pour faire du Damas, Julien commence par souder des plaques de deux aciers différents, comme un petit millefeuille. C’est le premier passage en forge, en intercalant du borax entre les plaques pour ôter l’oxygène. Puis on frappe au marteau sur l’enclume pour souder les éléments, avant de répéter l’opération. Il allonge ensuite la masse d’acier pour la replier sur elle-même. Les huit couches deviennent seize, et ainsi de suite jusqu’au nombre souhaité, en général entre 100 et 200. Le résultat est beaucoup plus résistant. Et, avec un bain chimique, on peut révéler les couches qui forment des dessins caractéristiques sur la lame.
Le coutelier de Cuarnens peut faire encore plus fort en intercalant ou en soudant ensuite un acier japonais «rasoir», qui donne un tranchant inimitable. Tout est une question de prix. «Les gens ne se rendent pas forcément compte du travail qu’il y a derrière chaque couteau, avec une cinquantaine d’étapes et environ vingt-cinq heures de travail.» Il a ainsi lancé une chaîne YouTube pour montrer la fabrication de ses lames, puis de ses manches, qu’il propose en bois suisse qu’il façonne lui aussi. «Il faut être terriblement précis, calculer exactement pour que les vis qui tiennent la lame soient à la bonne profondeur, qu’elles soient en face l’une de l’autre et du trou de la lame au dixième de millimètres.»
Sur mesure
Chez Julien Guiraud, le stock est faible ou inexistant. «J’ai besoin de savoir les besoins de mes clients. Que vont-ils faire avec ce couteau, comment ont-ils l’habitude de couper, à l’européenne ou à la japonaise, s’ils sont droitiers ou gauchers. On élabore ensemble le projet.» Méticuleux comme un ingénieur qualité, il fait aussi tester ses couteaux par des chefs, comme Damien Facile de l’Hôtel de Ville de Crissier, pour savoir s’il peut encore les améliorer. Et il propose des cours de deux ou trois jours pour apprendre à façonner soi-même son outil.
Pourtant, le coutelier s’est aussi lancé dans une série, cette fois de couteaux de table Le Veyron, proposés en deux versions de lame et avec un manche en if local. «J’ai fait beaucoup d’essais pour qu’on puisse poser le couteau sur la tranche à table, sans que la lame touche la nappe ou le bois.» C’est assez réussi et très beau. Avis aux amateurs, Julien rêve qu’un restaurateur lui en achète une série pour ses tables.
Faire son couteau
- Le Musée du fer et du chemin de fer de Vallorbe propose des cours de forge et de coutellerie (dès 50 fr. l’heure pour deux). www.museedufer.ch
- Stéphane Anken propose des cours d’initiation à Étoy (dès 450 fr. pour 2 jours). www.laforgedumorget.ch
- Axel Besson, à Mollens, propose des week-ends de coutellerie (500 fr.). www.forgeron-bergere.ch/forge
- Le Festival des couteliers de Vallorbe réunira 26 artisans du 16 au 18 avril 2022.