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Simon Gilliéron, le facteur vigneron qui ne manque pas d’adresse

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Le patron de la seule cave du Jorat a gagné sa légitimité par sa persévérance et son honnêteté, après sa carrière à La Poste. (article paru dans 24 heures du 30 avril 2024, photo Odile Meylan)

Le GPS n’est pas encore très sûr de lui au moment d’arriver à la nouvelle cave de Simon Gilliéron, à Ropraz. Peut-être est-il surpris de trouver une cave vigneronne dans ce village du Jorat, comme l’ont été des confrères du vigneron croisés au long de son étonnant parcours. Étonnant mais logique. «Bien sûr, les raisins ne viennent pas d’ici mais cette cave est le fruit d’une lente histoire et elle me convient bien.»

Ropraz, c’est son village d’enfance, celui où ses parents avaient un petit domaine agricole. Les Gilliéron, par tradition familiale, tenaient aussi la poste du coin et conduisaient le bus postal entre Ropraz et Montpreveyres. «Nos parents ne nous ont jamais poussés à reprendre le domaine, mon frère et moi.»

Ce lien à la terre, à la nature, le jeune Simon va le perdre un peu en suivant la voie postale. Apprenti à Vevey, puis facteur sur la Riviera, il va cultiver pendant dix ans son côté social, empathique dans ses tournées, dans une région qu’il adore toujours autant et où il a gardé de multiples contacts. Et où il a une partie de ses vignes aujourd’hui.

Le champ des possibles

Sa reconversion en vigneron ne s’est pas faite en un jour. Le gamin, qui n’était pas un fan d’école, est interpellé quand il rencontre sa future femme, Annick, qui faisait, elle, des études d’ingénierie en environnement. Sans imaginer user les bancs de l’EPFL, l’idée de suivre une formation de vigneron devient imaginable dans sa tête, lui qui manque parfois de confiance en lui.

À 25 ans, voilà notre facteur qui fait des stages indispensables pour pousser la porte de l’École supérieure de Changins, où il obtient son diplôme en viticulture et œnologie. Un diplôme qu’il va devoir encore valider par un CFC de vigneron, obtenu grâce à l’article 32 qui comptabilise l’expérience professionnelle préalable. Il part travailler au Vully, «une région tellement bienveillante, où j’ai beaucoup appris».

«Tout le monde s’attendait à ce que je reprenne un domaine ou que je fasse vigneron-tâcheron mais je n’avais pas les moyens pour la première solution et je n’avais pas envie d’être dirigé non plus.» C’est par la grâce d’un ami de Changins que tout débute. «Benjamin Bonjour avait récupéré une microparcelle à Lavaux, 500 m2, mais il n’avait pas de cave. Il m’a demandé si on pourrait utiliser la cave voûtée de l’ancienne poste où j’habite toujours et on s’est lancés. Comme c’était du rouge, j’ai insisté pour qu’on achète un peu de raisin blanc afin d’avoir deux vins.»

Hobby du week-end

«Pour nous, c’était un hobby des week-ends», se rappelle Benjamin Bonjour, conquis par ce camarade chaleureux et franc. «Au fil du temps, c’est devenu trop grand pour moi.» Pas pour Simon, qui avait davantage de temps pour la cave, étant père à la maison. «Annick avait un job à 100% et je me suis occupé volontiers des garçons.» Avec un père qui adore cuisiner, les enfants ont été gâtés. «Nous sommes très épicuriens dans la famille. Et je fais aussi du vin pour ça, parce que je n’imagine jamais l’un sans l’autre. Je suis toujours frustré quand je déguste le vin seul et qu’il n’y a pas un plat pour s’accorder avec lui.»

Le «domaine» s’agrandit petit à petit, récupérant des vignes ici ou là. En parallèle, Simon devient expert aux examens de l’école de Marcelin, puis chef de ces experts. «Ne venant pas de la vigne, je ne me sentais pas toujours légitime au début. Mais ça vient. D’un autre côté, ne portant pas le poids des générations précédentes, j’ai beaucoup plus de liberté dans ce que j’entreprends.» «Ce souci exacerbé de bien faire est un peu sa marque de fabrique, confirme Benjamin Bonjour. Il veut toujours faire le mieux possible, c’est un moteur formidable.»

Un pied dans chaque terroir

Aujourd’hui, il cultive à peu près un hectare de vignes, entre Corseaux et Rivaz côté Lavaux, Chamblon et Novalles côté Bonvillars. «Pouvoir réaliser un produit de bout en bout, c’est un rêve. Avec la vigne, je retrouve ce goût des saisons, de la nature, de la terre, et je vais jusqu’au vin. Bien sûr, ce n’est pas toujours facile, il y a les aléas de la météo comme ce coup de gel d’avril, mais c’est formidable de pouvoir vivre sa passion.»

Suivre des vignes aussi éloignées les unes des autres ne l’effraie pas. «Je connais mes parcelles, je suis la météo, j’appelle mes copains vignerons pour avoir des nouvelles. Au besoin, il me faut une matinée pour tout traiter des deux côtés.» Le vigneron travaille en bio, même s’il n’est pas labellisé – «je n’aime pas trop les dogmes» – et produit sept vins, atypiques selon lui. En tout cas qui sortent des canons habituels. «Je cherche toujours la fraîcheur et la tension dans mes vins. Je veux qu’on puisse les boire sans lourdeur, qu’on puisse y revenir.»

Des vins qui demandent aussi un peu de patience. «J’ai l’impression de les enfermer en bouteille et qu’ils ont besoin de temps pour s’exprimer quand ils en sortent.» Le vigneron avoue avoir eu de la peine, au début, quand quelqu’un critiquait l’un ou l’autre de ses crus. Mais il s’y est habitué, conscient que chacun cherche autre chose au fond de son verre. Ce qui ne l’empêche pas de vendre ses bouteilles majoritairement à une clientèle privée, au cours de portes ouvertes où Annick et lui mitonnent de délicieuses tapas. «J’ai de la peine à démarcher des clients, mais une fois qu’ils sont là, j’adore communiquer.»

Sinon, il aime la montagne et la musique. Ses douze ans de violon, son expérience de chœur d’enfants lui font toujours écouter un peu de classique même si, au fond, il aime le rock des années 1990. Là aussi, le postier vigneron est inclassable.

Bio

1980 Naît le 3 avril à Ropraz, il a un frère. 1996 Début d’apprentissage à La Poste à Vevey. 2004 Rencontre Annick, sa femme. 2005 Stage chez Obrist, à Vevey, Sébastien Butticaz, à Treytorrens, et Boxer, à Romanel. 2009 Diplôme de l’École supérieure de Changins en viticulture et œnologie. Travaille chez Jean-Bernard Derron, à Nant. 2011 Retour à Ropraz. 2012 Commence à vinifier avec Benjamin Bonjour, un copain de Changins, un peu de rouge d’une parcelle de 500 m² et de blanc dont ils achètent la vendange. 2013 Naissance de Marius, suivi par Victor en 2016. 2019 Reprend seul l’affaire et la développe. 2023 Construction de la cave à Ropraz.

Lien permanent Catégories : Portrait, Vins 0 commentaire

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