Cela fait forcément un moment que nous suivons le chef, cet autodidacte qui n'a fait son apprentissage dans aucune grande table renommée, comme cet autre artiste passionné qu'est Carlo Crisci, à Cossonay. Il est amusant de voir ces deux cuisiniers, au parcours atypique, être autant à la recherche de leur voie en n'hésitant pas à sortir des sentiers battus.
La révélation de Denis Martin a sans aucun doute été la cuisine moléculaire, cet art nouveau de préparer les produits, de bluffer les convives par des préparations inhabituelles. Martin s'est embarqué là-dedans avec passion, découvrant de nouveaux jouets qui lui permettaient d'avancer. Les shampoings, les alginates qui permettent de faire des billes de n'importe quel liquide, l'azote liquide qui cuit différemment et qui fait une fumée spectaculaire, le micro-ondes, etc.Martin a donc testé, essayé, suivi les conseils de Ferran Adrià et de toute cette nouvelle vague que certain ont méprisé. Parce que la cuisine moléculaire, comme toutes les cuisines, a vu son lot de faiseurs, de bricoleurs et de snobs, de ceux qui croyaient qu'il suffisait de s'acheter de l'azote liquide pour acquérir du talent. Pour Martin, cette vague a été celle du succès qui emplissait son restaurant de curieux venus se faire épater par les trucs du prestidigateur. Moins de monde en cuisine, des menus à 20 plats, la possibilité de fermer à midi, le livre rituel aux Editions Favre, un seul et unique menu à 295 fr! On aurait pu croire que le chef de Vevey allait s'enfermer dans cette voie, si riche de succès.
Mais Denis Martin est un honnête homme. Notre dernier passage chez lui, en cuisine et en salle, a été un vrai plaisir parce que nous avons eu le sentiment qu'il avait passé un stade. Il savait maintenant ce qu'il pouvait faire de ses nouveaux jouets, il en avait exploré les limites. Et il est revenu à l'essentiel, la recherche du goût. Bien sûr, ses dinettes, ses bouchées sont toujours très belles à voir. Ses associations de goûts audacieuses. Bien sûr, il y a toujours un peu de micro-ondes ou d'azote dans l'air. Mais les plats ont gagné en pureté, l'artiste a simplifié son oeuvre pour aller à sa source.
C'est courageux de sa part, parce que certains clients qui ne venaient que pour le bluff pourraient être déçus que le magicien ne multiplient plus les tours. Mais cela fait partie de la démarche de Martin. Et nous ne pouvons que l'en féliciter, sans croire que c'est la seule voie à suivre.
Le chef va d'ouvrir une dépendance, l'ancien Café du Centre de Champéry, où il servira des tapas au rez et une sélection de ses anciens plats à l'étage, avec une équipe dédiée. Il prépare des démonstrations de chef pour Gastronomia. Ce n'est pas parce qu'il ferme à midi qu'il se tourne dorénavant les pouces.
Restaurant Denis Martin, rue du Château 2, 1800 Vevey, Tél. 021 921 12 10. Ouvert tous les soirs du mardi au samedi.