Le fils de Daniel Ruchet & Fils privilégie la qualité à la quantité. Sa viande rassise et ses saucisses sont des vedettes
«Il y a une bonne quinzaine d’années, je me posais des questions sur l’avenir de la boucherie que j’avais reprise de mon père, avec sa petite clientèle et la concurrence des grandes chaînes. Je suis parti faire des dégustations de vins dans le Roussillon avec des amis. C’est le vigneron Gérard Gauby qui m’a donné le déclic: il expliquait qu’il s’en fichait des critiques, qu’il ne faisait que les vins qu’il aimait et que cela expliquait son succès. J’ai décidé de faire la même chose avec ma viande.» Dans la petite boucherie d’Olivier Ruchet, à Vevey, vous ne trouverez pas de tripes, de langues ou de cervelles: il n’aime pas ça. Si vous lui en commandez, il la fera venir, c’est tout.
Tout ce qu’il y a dans ses frigos, ce sont des produits qu’il apprécie. Ses saucisses, par exemple. «A l’époque, je faisais des petites saucisses, comme tout le monde, et comme les supermarchés surtout. Je me suis rendu compte qu’il fallait me démarquer. On a donc travaillé pour élaborer des recettes qui nous plaisent.» Aujourd’hui, la boucherie de la rue des Deux-Marchés en produit sept variétés. «On a commencé par la merguez et la saucisse à rôtir.» Puis sont venues les merguez fortes, pimentées, les saucisses au curry et raisin, celles aux graines de fenouil, les italiennes (tomates séchées, mozzarella, olives noires, basilic et origan) et les thaïlandaises (coriandre fraîche, citronnelle, lait de coco, curry rouge, etc.).
Extraordinaire ou rien
«On a bien essayé d’en faire d’autres, rigole Olivier Ruchet. On a beaucoup travaillé, par exemple, sur une aux pistaches et zestes de citron. Mais on n’était pas convaincus. Il faut qu’on puisse se dire que le produit est exceptionnel, sinon ça n’en vaut pas la peine.» Il faut croire que la philosophie du boucher fonctionne. La semaine dernière, un de ses deux employés a fabriqué 166 kg de saucisses (et quand on sait qu’elles pèsent environ 30 g pièce…): elles se sont vendues en deux jours. Dans celles à l’agneau, Olivier Ruchet ajoute aussi du bœuf, pour que le goût d’agneau ne soit pas trop fort. Poussées dans l’interminable boyau fin, les saucisses sont ensuite «tressées» à la main pour être séparées ensuite. Ailleurs, l’opération est souvent confiée à une machine. Mais ici, c’est tout petit, même si les locaux ont été rénovés. Ces saucisses à mettre sur le gril sont le genre de marchandise pour lesquelles Olivier Ruchet consulte la météo en début de semaine, afin de savoir ce qu’il convient de produire: «Les jours de beau temps, notre chiffre d’affaires augmente de 30 à 40%!»
Mais Olivier Ruchet a une autre spécialité: la viande rassise sur os trois à quatre semaines. Du bœuf Simmental qu’il laisse en chambre froide, avec juste ce qu’il faut d’humidité: «Trop, ça moisit. Pas assez, ça sèche.» Il faut voir les filets et les trains de côtes arrivant presque noirs! Une fois parées, les pièces gardent une superbe couleur. «Quand j’ai commencé, mon père me prenait pour un fou. Maintenant, il est convaincu.» Bien sûr, la perte de poids est importante (environ 25%), mais la qualité de la dizaine d’aloyaux passés chaque semaine est parfaite. «Regardez cette viande, elle ne rend pas d’eau, et elle n’en rendra pas à la cuisson.» Et le boucher veveysan s’énerve des prix qu’il voit parfois au supermarché, montrant sur son iPhone une photo de filet de bœuf à 107 fr./kg, sous vide et pas rassise. Chez lui, elle est à 90 fr. «Les bouchers, nous ne savons pas expliquer à nos clients que nous ne sommes pas plus chers.»
Avec son Ruchtong (copie du biltong sud-africain), son jambon cuit selon la recette de son père, moelleux, juteux, sa viande séchée chez un copain valaisan, ses saucissons et saucisses aux choux, Olivier Ruchet aime dans le fond beaucoup de choses. Il les fait donc bien.
BOUCHERIE HISTORIQUE
Sur le fronton de la boucherie, on lit à nouveau le nom de G. Lehmann, qui avait racheté l’affaire où il avait fait son apprentissage, puis l’a vendue aux parents Ruchet en 1967. Alors qu’il rêvait de voyager dans le monde, Olivier Ruchet a dû succéder à son père à l’âge de 21 ans, suite aux problèmes de santé de celui-ci. C’était en 1987. Au début, il faisait tout tout seul, sans employé, dans son microlaboratoire.