Dans un livre pédagogique, Yvan Schneider narre la saga de l’alimentation en Suisse depuis le mésolithique jusqu’à nos jours. Passionnant.
Si la totalité de l’histoire de l’humanité durait une année, l’homme aurait passé 364 jours à chasser et à cueillir. Il ne se serait mis à l’agriculture que le dernier jour, et l’agroalimentaire n’aurait existé que quelques secondes. C’est le genre de comparaison qu’on trouve dans le livre pédagogique d’Yvan Schneider, Petite histoire de l’alimentation en Suisse . Le garçon a beau avoir taillé sa tignasse et sa barbe, il a gardé un petit côté rustique qu’il cultive avec distinction. Comme enseignant de cuisine à Vevey et à la Haute Ecole pédagogique (HEP) de Lausanne, il s’est toujours plongé dans l’histoire de la nourriture avec passion, une passion dont il régale ensuite ses élèves avec qui il s’amuse à réaliser des recettes néolithiques ou médiévales.
L’idée de ce livre lui est venue lorsqu’il essayait de trouver un thème de recherche lors d’un séminaire de formation continue à Genève. Puis la collaboration des étudiants de l’Ecole de photographie de Vevey a rendu le projet de livre possible, un projet soutenu par la HEP. Le bouquin, tiré à quelques milliers d’exemplaires, pourra donc servir aux profs de cuisine qui le désirent, comme aux amateurs qui voudraient en savoir plus sur la culture de l’alimentation.
A feuilleter l’ouvrage, on se passionne pour les dix âges qu’a choisis Schneider, du mésolithique – où l’homme, déjà, sait découper son gibier et en préparer les meilleurs morceaux – au XXIe siècle où tout est plus complexe que jamais, entre l’industriel, la fusion des genres. Pour chacune de ces périodes, l’auteur propose un texte court, simple et lisible, une double planche illustrée sur les bouleversements qui ont modifié notre alimentation, puis une recette de «mets emballés», de la feuille de chou farcie au filet de gibier jusqu’au pigeon voyageur inspiré de Denis Martin.
Quatre heures de cuisine tous les jours
«A toute époque, on mangeait plutôt bien, j’en suis sûr, affirme le mousquetaire du goût. On faisait avec ce qu’on avait, mais on cherchait toujours à trouver mieux.» Et on s’est compliqué la vie, poursuit-il. Il y a huit mille ans, lorsqu’on a commencé à domestiquer les animaux, on s’est mis plein de boulot sur le dos alors que le cueilleur-chasseur ne consacrait «que» quatre heures par jour à sa nourriture. «Et des scientifiques affirment qu’on consommait 2000 calories par jour, ce qui montre qu’on ne mourrait pas de faim.»
Le progrès a ses bienfaits mais aussi ses tracas. L’arrivée des purées et des bouillies a sans doute multiplié le nombre de caries au néolithique, selon l’examen des dents retrouvées. Mais cette époque voit aussi arriver les techniques de fumage ou de salage pour la conservation des aliments, ou la découverte de la fermentation. Voici que naissent les fromages, les yoghourts et les premières boissons alcoolisées, souvent dédiées aux dieux, tiens donc!
La période gallo-romaine voit le choc des cultures: les chrétiens basaient leurs repas sur le vin, le pain et l’huile, les barbares sur la viande, le lait et le beurre. Les épices qu’on découvre ne servent pas, comme le prétend la légende, à cacher le mauvais goût des aliments, mais bien à les enrichir. Il y aura encore du chemin avant le XXe siècle où la technique simplifiera la vie et créera l’opulence. Et par là même, le choix.
Histoire de la popote: quelques objets qui ont tout changé
Le racloir biface. Il y a 10 000 ans, les premiers occupants de l’actuelle Suisse façonnent la pierre avec habileté, jusqu’à l’obtention d’un outil précieux: le biface. Soit un caillou taillé sur deux faces pour dégager un tranchant périphérique. Tenu à la main, mais peut-être aussi emmanché, il est utilisé à une foultitude de travaux domestiques, mais surtout à la boucherie. Les fouilles révèlent du reste que nos ancêtres débitaient leurs proies avec une dextérité formidable. Tchak, tchak.
Le pot en céramique. Il apparaît à l’aube du néolithique, une poignée de millénaires avant J.C. Et va gentiment chambouler l’alimentation humaine. Désormais, on peut stocker les récoltes. Mais aussi cuire, mijoter, mitonner bouillies et ragoûts. Par ici, la bonne soupe! De là à considérer l’avènement du pot comme l’acte de naissance de la cuisine telle que nous la connaissons, il n’y a qu’un pas. Malheureusement, on ne sait pas grand-chose du répertoire culinaire de nos lointains aïeux.
La fourchette. La «petite fourche» à deux dents naît dans l’Empire byzantin et débarque sur les grandes tables italiennes au cours du XIe siècle. Elle sert alors à boulotter les pâtes ou à la découpe de la viande. Le reste de l’Europe va mettre quelques siècles à l’adopter. Il faut dire que le clergé considère ce couvert comme un «outil du diable», incitant au péché de gourmandise. Ce n’est pas faux, même si on connaît plein de gros gourmands qui mangent avec les doigts.
La cuisinière à gaz. Elle apparaît au milieu du XIXe siècle, mais ne se popularise qu’au cours du siècle suivant. Grace à elle, la ménagère n’a plus à maintenir le fourneau à charbon allumé toute la journée et peut enfin jouir d’une température aimable dans sa cuisine. Dans les années 1930, survient un autre chamboulement d’ampleur dans l’histoire culinaire: le début de la fabrication industrielle du réfrigérateur. Avec le frigo, la popote moderne est sur les rails.