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Visite dans la banque des souches fromagères

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À Liebefeld, on conserve et on produit les bactéries essentielles à la fabrication de nos spécialités. Visite dans les laboratoires de l'Agroscope.

Le bâtiment est discrètement niché au centre du campus de l’Agroscope de Berne-Liebefeld. C’est pourtant là que naît, d’une certaine manière, l’essentiel de nos spécialités fromagères. L’endroit est revenu sous les projecteurs lorsque la Confédération a signé avec Fromarte – la faîtière des fromagers – avec les producteurs de lait et 14 interprofessions un partenariat public-privé pour partager la collection et la production des cultures bactériennes nécessaires à la fabrication des fromages au sein d’une société commune. Cette structure public-privé est quasi unique au monde. «Certaines appellations protégées produisent elles-mêmes leurs ferments, comme le Comté par exemple. Sinon, la fabrication des cultures est entre les mains de grands producteurs privés, avec tous les risques que cela peut comprendre pour le patrimoine», explique Christoph Kohn, le chef de la production des cultures.

La collection des souches, c’est la conservation des plus de 10 000 échantillons récoltés depuis 1903 par la Station fédérale de recherches laitières, puis par l’Agroscope. La Station avait été un des premiers instituts à récolter et à analyser les mélanges de bactéries que les fromagers produisaient alors eux-mêmes (voir ci-contre). Surtout, elle a sélectionné les meilleurs d’entre eux pour fabriquer encore mieux nos pâtes dures et mi-dures.

La reproduction des cultures, elle, multiplie justement ces meilleures souches chaque semaine pour que les fromagers puissent faire leur travail. «Nous produisons une quarantaine de cultures, explique Christoph Kohn. Elles sont utilisées pour 90% des pâtes dures ou mi-dures suisses traditionnelles, mais moins pour les fromages industriels type Edam ou autre.»

Une semaine type

L’opération pourrait sembler très simple, puisqu’il s’agit d’introduire ces souches de bactéries dans du lait maigre, bio, tempéré pour qu’elles puissent se développer pendant dix-huit heures. «Tout est bio, hallal, kasher», promet le chercheur, dans cette atmosphère protégée et hypercontrôlée. La production se fait les lundis et mardis, le mercredi étant réservé aux analyses de laboratoire des produits ainsi obtenus. «Si une culture venait à être contaminée par un germe indésirable, un producteur mettrait des mois avant de s’en rendre compte, et toute sa production serait menacée. Donc, tout doit absolument être contrôlé avant l’envoi.» Ce sont ainsi 100 000 analyses qui sont faites chaque année. Et les cultures partent le jeudi… par la Poste. «C’est encore ce qu’il y a de plus sûr et de plus simple.»

Car la culture dans sa petite fiole, le plus souvent sous forme de «culture mixte brute», a une durée de vie d’une semaine environ. La fromagerie va ensuite l’intégrer à du lait ou du petit-lait, pour former une base d’une quarantaine de litres, qui permettra de faire fermenter 20 000 litres de lait et donc de produire environ 2000 kilos de fromage. «Que nous produisions de grandes quantités comme pour le Gruyère AOP ou de plus petites cultures pour les spécialités de niche, nous les vendons au même prix», explique l’ancien fromager devenu scientifique.

Mais Liebefeld produit aussi des souches sous forme lyophilisée, obtenues par centrifugation de la culture liquide, puis par sa dessiccation sous vide et à -40 °C. La biomasse lyophilisée est finalement broyée pour obtenir une poudre que le fromager pourra mettre directement dans son lait. Elle a l’avantage d’une durée d’utilisation qui se compte en années. Ce qui permet d’éviter la fabrication hebdomadaire. «Dans chaque gramme de cette poudre, il y a mille milliards de bactéries, sourit le chercheur, alors qu’il n’y en a qu’un milliard par millilitre dans la préparation liquide.» Une autre production sert enfin aux cultures de surface, pour les croûtes lavées ou fleuries.

Des fromages pour de vrai

Mais l’Agroscope possède aussi sa propre fromagerie de test lui permettant de mener à bien des recherches expérimentales variées, par exemple afin de tester l’impact des nouvelles cultures qu’elle développe sur la qualité des fromages produits, ou encore de comprendre les mécanismes menant à la formation de substances indésirables lors de la maturation. Dans ses caves d’affinage, on découvre des meules percées ou dont la forme indique qu’on en a retiré une tranche pour analyse, quand les trous ne sont pas inspectés par rayons X. «Nous faisons des recherches et des essais mais nous développons peu de nouveaux produits. Ce sont plutôt les producteurs qui font leurs essais et qui nous demandent conseil», explique Christoph Kohn, qui avait fait à l’époque son travail de diplôme en créant une mozzarella de brebis.


Conservées à -80?°C ou lyophilisées

Noam Shani est le gardien du temple, le trésor des 16 000 entrées au registre des souches de l’Agroscope de Liebefeld construit depuis plus d’un siècle. «Mais certaines d’entre elles sont conservées à double ou à triple. Parlons plutôt d’une estimation de 10 000 souches», explique-t-il en insérant sa clé dans le congélateur où sont conservées une grande partie d’entre elles, à -80 °C. «Nous avons des copies de sauvegarde à notre institut de Posieux, en cas de pépin.» Les laboratoires de Liebefeld devraient d’ailleurs y déménager en 2023. 

Une autre partie de la collection reste lyophilisée dans des ampoules en verre placées dans des tiroirs à 4 °C. «C’est un très bon moyen de conservation et les bactéries peuvent survivre des années ainsi. La plus vieille que j’ai vue remonte aux années 1930, et elle était en parfaite forme.» Ces souches doivent pourtant être reproduites de temps à autre, mais le moins souvent possible, pour éviter tout risque de dérive génétique. Elles servent aux recherches et aux innovations.


Trous d’Emmental et souches marqueuses

Le fromage d’Emmental contient des bactéries propioniques qui produisent du gaz carbonique et font les fameux trous, a-t-on découvert dans les années 1920. Liebefeld les a cultivées. Bien des années plus tard, l’Agroscope a étudié pourquoi les fameux trous ne se formaient plus. Il a découvert que ça venait d’un lait devenu trop pur. Les bactéries propioniques ont besoin d’impuretés dans la pâte du fromage – de «points faibles» – pour accumuler le gaz carbonique sous forme de trous. En plus de cultures propioniques, l’ajout des microquantités de la poudre de foin crée désormais ces petites impuretés nécessaires et sauve les trous. 

Pour éviter la contrefaçon de certaines de nos spécialités, des cultures disposent d’un marqueur impossible à copier, des bactéries dont la séquence génétique unique et identifiable reste lisible après fabrication de la pâte. Livrées exclusivement aux producteurs reconnus de Têtes-de-moine AOP, d’Appenzeller ou d’Emmentaler AOP, ces souches particulières permettront ensuite d’authentifier ou non l’origine exacte de la meule analysée

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