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Fabien Pairon: l’élève rebelle est devenu professeur reconnu

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Le chef de l’Auberge Communale du Mont-sur-Lausanne, Meilleur Ouvrier de France, cherche l’authenticité dans sa cuisine et dans sa vie. (article paru dans 24 heures du 15 mai 2024, photo Patrick Martin)

Sur son col, la bande tricolore de Meilleur Ouvrier de France (MOF) est discrète. «Oh, elle va encore diminuer en importance puis disparaître. Je suis ici, dans cette auberge que nous avons reprise avec ma femme il y a deux ans, et j’y suis bien.» Une autre étape dans un parcours entre cuisine et charcuterie, ses deux professions se retrouvant à la carte gourmande de l’auberge.

«J’ai beaucoup d’admiration pour ces grands chefs qui font une cuisine d’avant-garde, qui produisent des assiettes qu’on cherche à interpréter comme quand on est devant la toile d’un artiste. Moi, ma fibre artistique est assez médiocre, je suis juste un très bon technicien qui fait une cuisine plaisir. Mes plats ont le goût de ce qu’ils sont.» Pour preuve, ce titre de «champion du monde du malakoff» gagné en 2022 à Lausanne et celui de «champion du monde de l’œuf en meurette» décroché en 2023 au château du Clos de Vougeot. Deux spécialités qu’il conserve désormais à sa carte.

Cette cuisine gourmande, d’une tradition allégée, attire du monde. «Les gens ont besoin d’être rassurés. Il y a un petit côté régressif dans la gourmandise. Ce qui était un mot péjoratif est devenu un compliment.» Fabien Pairon parle calmement, explique clairement, héritage d’un passé de professeur de cuisine à l’Éducation nationale française, puis à l’École hôtelière de Lausanne.

Rancune administrative

Une belle revanche pour celui qui était rétif à l’autorité, et donc à l’école obligatoire dont il n’a jamais terminé le cursus. «Quand mes parents ont divorcé, j’avais 2 ans et demi. Mon père peinait à payer la pension alimentaire et, à cette époque, cela supprimait son droit de visite. Je ne l’ai donc pas vu de 4 à 10 ans. J’en ai terriblement voulu à l’administration, à l’autorité de l’État. J’ai toujours du mal avec l’injustice aujourd’hui.»

Si ses deux parents ont connu des années difficiles — lui charcutier-traiteur, elle cumulant deux emplois — ils ont inculqué au garçon et à ses trois frères la notion du travail bien fait. «C’est grâce à eux que je suis travailleur.» Fabien fait un apprentissage de cuisinier dans de bonnes maisons de sa Bourgogne natale, part en Angleterre apprendre la langue («mais pas la cuisine là-bas»), revient à Paris exercer son métier chez un traiteur haut de gamme, Potel et Chabot, qui est de tous les grands rendez-vous.

C’est lorsqu’il est engagé par l’Éducation nationale comme chef d’une cantine scolaire que le goût des études lui revient, «je me suis dit que je pourrais aller chercher des diplômes». Ni une ni deux. Il s’inscrit en candidat libre à un bac professionnel, qu’il obtient avec mention très bien et une remarquable moyenne générale de 18,64 sur 20. Il enchaîne par un brevet de technicien supérieur. Ce qui l’amène à devenir prof de cuisine. «C’est un superparadoxe pour quelqu’un qui n’a pas fini l’école obligatoire.»

Il le dit en toute simplicité, avec cette modestie de Bourguignon qui veut juste bien travailler tout en réfléchissant à ce qu’il fait. Comme quand il raconte qu’«au décès de mon père, je me suis dit que c’était un excellent charcutier et que je ne maîtrisais même pas 10% de son savoir». Il n’est pas homme à faire les choses à moitié. Il décide donc de tenter le concours de Meilleur Ouvrier de France charcutier traiteur, fonde sa propre entreprise pour avoir le support technique et financier à sa quête et passe du premier coup le prestigieux concours.

«La charcuterie, ça apprend la précision et l’anticipation, tout est pesé, minuté, c’est d’une rigueur ultime. La cuisine est moins restrictive, il y a aussi le côté instantané, le coup de feu. Et on travaille davantage de produits que le porc, forcément. Avoir les deux métiers est un avantage.» Un avantage qui n’a pas échappé à l’École hôtelière de Lausanne, qui l’a fait venir en Suisse. «Professeur dans la meilleure école hôtelière du monde, c’est aussi incroyable après mon parcours scolaire, non?»

Sortir de sa zone de confort

Avec son épouse Jennifer, il quittera pourtant le havre doré du Chalet-à-Gobet après dix ans pour se lancer dans cette nouvelle aventure au Mont-sur-Lausanne. «Sans elle à mes côtés, cela n’aurait pas été possible.» Mais il garde de solides amitiés à l’EHL, qui amène beaucoup de clients pour son auberge.

Comme Julien Gradoz, avec qui l’amoureux de nature a gravi le Mont-Blanc: «Dès son arrivée à l’école, on s’est fixés des défis, raconte le pâtissier champion du monde, faire de la voile sur le Léman, de la randonnée, de la moto. On a aussi coaché des équipes de cuisiniers à l’étranger. Il aime organiser les choses, et il le fait très bien. Il a besoin de projets, de choses à faire aussi bien au travail que dans ses loisirs. Il pousse les gens et les aide beaucoup.»

L’ancien professeur aime toujours transmettre, comme à son apprenti qui vient de remporter le Poivrier d’argent, soit le titre de meilleur apprenti de Suisse. Il a également partagé son savoir dans des livres, dont ce «Grand livre de la charcuterie», devenu une bible de la profession, avec plus de 20’000 exemplaires vendus. «Avec Arnaud Nicolas à Paris et Christian Segui à Lausanne, on a mis en avant une charcuterie contemporaine, moins grasse, moins salée, sans sel nitrité. La collaboration a été magique, la fluidité du travail extraordinaire, cela a été une très belle aventure.» Il vient de sortir seul un livre plus grand public.

Le couple aime la moto (que Fabien pratique aussi sur circuit) pour se balader sur sa BMW R 1200 GS. Entre autres pour aller dans sa maison de week-end à Poligny, dans le Jura français. C’est là que Fabien cultive sa vigne de savagnin dont il veut tirer un vin nature dès 2025. Avec l’aide d’Yves Roy, du domaine Novice Jura, parce qu’il sait bien qu’il faut s’entourer des meilleurs. Encore une histoire de travail, d’amitié et de perfectionnisme.

Bio

1973 Naît le 26 décembre à Villeneuve-sur-Yonne.

1989 Apprentissage de cuisinier au Manoir de l’Onde.

1996 Naissance de sa fille Chloé, suivie d’Émeline en 2000.

2001 Bac professionnel en candidat libre, avec mention très bien.

2002 BTS en cuisine.

2003 Professeur de cuisine.

2006 Décès de son père, début de la conquête du MOF. Crée une entreprise de charcutier traiteur.

2011 Meilleur Ouvrier de France charcutier traiteur.

2012 Professeur à l’École hôtelière de Lausanne.

2015 Sort son premier livre, «Douceurs charcutières», suivi par «Le grand livre de la charcuterie» en 2018, puis «Charcuterie» en 2023.

2016 Épouse Jennifer, rencontrée au travail.

2022 Reprend avec elle l’Auberge Communale du Mont-sur-Lausanne. Champion du monde du malakoff.

2023 Champion du monde de l’œuf en meurette.

Lien permanent Catégories : Portrait, Restaurants classiques 0 commentaire

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