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Un récital à quatre mains qui lance la transition à Crissier

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rochat_dp.jpgPhilippe Rochat et son successeur, Benoît Violier, ont offert un repas au champagne aux amateurs éclairés

La cinquantaine de convives était triée sur le volet: des grands chefs, comme Dominique Gauthier, Edgard Bovier ou André Jaeger, des sommeliers, des directeurs d’hôtels et quelques rares journalistes. A leur menu, ce mercredi, deux vins d’exception et un déjeuner qui lançait inofficiellement la succession entre Philippe Rochat et Benoît Violier, tout en célébrant la sortie du millésime 2003 de Dom Pérignon. Le futur chef de Crissier (dès le 1er avril) avait concocté un superbe menu mettant en valeur les différentes facettes du vin.

L’incroyable précision Pour commencer et montrer la minéralité du vin, ce yin et yang de pommes vertes et de caviar Osciètre impérial, dessinant le symbole en vert et noir. L’incroyable précision de la pomme verte présentée en billes rondes de la même taille que les œufs d’esturgeon, sans que le fruit ne s’oxyde, montre la qualité de la brigade de Crissier autour de son futur chef, un fou de technique, Meilleur Ouvrier de France. «Nous ne devons aller que vers l’excellence et l’exclusif», explique-t-il.

Le respect de la tradition Richard Geoffroy trouve à son 2003 un côté sombre. Voici donc un classique de Crissier, les cardons aux truffes noires de Richerenches, comme un hommage à la statue du Commandeur, Fredy Girardet lui-même. Philippe Rochat l’honore d’un «Il m’a appris ce qu’était le vrai métier de cuisinier». Benoît Violier intégrera certains de ses plats à sa première carte, comme quelques incontournables de Philippe Rochat. La réalisation est parfaite, avec cette rosace de lamelles noires qui recouvre un cardon tendre à souhait et son jus crémeux, légèrement poivré.

La pureté absolue Après le noir vient le blanc. Celui du côté floral du champagne. Celui aussi de ce tronçon de sole de la Cotinière cuit impeccablement à la vapeur et son émulsion au champagne. C’est virginal, délicat, et il y a ici une des clés des trois chefs de Crissier: aller à l’essentiel, ne jamais surcharger.

Les influences épicées «Ce champagne demanderait du gras et des épices», souffle Paolo Basso, le sommelier vice-champion du monde. Il est servi avec cette grosse langoustine arrivée de Douarnenez, presque nacrée, et son jus au curry Madras. Violier, comme ses prédécesseurs, ne suit aucune mode, mais sait ouvrir sa cuisine aux influences du monde tout en gardant sa base de grande cuisine française. Pour le plus grand bonheur de Philippe Rochat, qui affirme: «Ma réussite, c’est ce que Benoît fera de cette maison.»

Le moment canaille «Quand des chefs se rencontrent, ils adorent se faire des abats», explique Dominique Gauthier, le chef du Chat-Botté. «Ce sont ces plats qu’on adore et qui sont le révélateur de notre technique.» Il est entendu avec cette noix de ris de veau magnifique, dorée et caramélisée au beurre, juste piquée de truffes noires. «Quand on avait ces noix de ris de veau en cuisine, elles étaient tellement belles qu’on avait envie de les photographier», rigole Benoît Violier. Fredy Girardet faisait pareil avec les rognons Bolo de son père.

La légèreté en conclusion Pour le dessert, Richard Geoffroy a sorti de sa cave un Œnothèque 1976, autre année chaude. Le champagne a gardé sa fraîcheur, à laquelle s’ajoutent des notes de cire, de bois, presque de liège. En face, le soufflé aux oranges Tarocco est d’une légèreté incroyable, comme celle que ressent le convive qui quitte la table de Crissier sans surcharge, l’âme aussi légère que les bulles de champagne. Il n’y a pas d’excès ici.

Philippe Rochat quittera sa cuisine le 31 mars. Il a déjà déménagé dans sa nouvelle maison et continue à gérer sa succession avec une intelligence et une élégance rares. «Je me réjouis d’avoir le temps d’aller manger chez mes amis.»


Dégustation du Dom Pérignon 2003

Richard Geoffroy, chef de cave de Dom Pérignon, est fier de son nouveau bébé, d’autant plus fier que la naissance fut houleuse. 2003 a connu un été caniculaire. Geoffroy n’a pas hésité à sacrifier ses vacances pour revenir en Champagne et commencer les vendanges le 16 août. D’autant que le chardonnay avait, lui, souffert du gel et n’avait donné que 20% de son rendement habituel. Faire un millésime de cette année-là était osé. «A posteriori, je me rends compte que c’était un risque, avoue l’œnologue. Mais c’était une évidence de le faire.» A le boire, on approuve.

 


Editorial paru dans 24 heures du 9 mars

Tout faire pour pérenniser l’entreprise

L’Hôtel de Ville de Crissier n’est  pas seulement un restaurant trois étoiles, c’est aussi une société de 44 employés, une PME active dans le domaine du luxe. Par la grâce de Fredy Girardet d’abord, puis de Philippe Rochat, l’endroit a développé une renommée qui déborde aujourd’hui largement de nos frontières, un savoir-faire extraordinaire digne de nos plus grands horlogers, un réseau de fournisseurs de première qualité dont Crissier, entre autres clients, assure la viabilité économique.

A la tête du restaurant depuis 1996, Philippe Rochat aurait pu se contenter – à l’heure de prendre sa retraite le 31 mars prochain – de vendre l’enseigne avec un coquet bénéfice sans se soucier de ce qu’il en serait advenu. Mais ce n’est pas le genre de cet homme foncièrement honnête, droit et conscient de l’âme particulière de l’adresse dont il a la charge. Il a donc construit sa succession avec Benoît Violier qui l’assiste au quotidien. Pendant cinq ans, les deux hommes ont construit l’avenir. En faisant rentrer dans le capital des actionnaires partageant leurs vues de pérennité plutôt qu’avides de bénéfices immédiats, en rénovant de fond en comble l’outil de travail avant de le transmettre, les deux hommes ont fait preuve d’une grande intelligence. Et la présence de Philippe Rochat au conseil d’administration du restaurant est un autre gage de cette succession assumée.

Osons le dire: la passation de pouvoirs à Crissier est un modèle de transmission d’entreprise dont beaucoup pourraient s’inspirer. Parce qu’elle est le fait d’hommes qui ont mis en avant des valeurs morales, des visions à long terme plutôt que de la rentabilité et des ego. Au 1er avril, Benoît Violier pourra continuer l’œuvre avec toutes les chances de réussite et, donc, de rendre hommage aux prédécesseurs avisés dont il prolongera le travail.

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