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Le gamay, ce caméléon venu de Bourgogne

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Le troisième cépage de Suisse connaît une désaffection. Pourtant, bien cultivé, il a tout pour faire un grand vin.

(Image: Les Romaines, de Christian Dutruy (et son frère Julien) est le seul gamay inscrit à la Mémoire des vins suisses. Photo Steeve Iuncker-Gomez. Article paru dans 24 heures du 25 février 2022)

La Suisse cultivait 2000 hectares de gamay en l’an 2000. Vingt ans plus tard, il n’en reste que 1200. Le troisième cépage du pays est boudé par certains consommateurs et vignerons qui lui reprochent de manquer de structure, de couleur, de tanins. Un peu comme le Beaujolais nouveau a lentement tué le Beaujolais dès 1951, les sélections de gamay très productif des années 1980 lui ont collé une mauvaise réputation. L’histoire remonte encore plus loin, en 1395 pour être précis, quand Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, trouve le gamay trop âpre et le bannit de ses terres pour le limiter au Beaujolais et ne garder que le pinot noir.

«C’est pourtant un fils naturel du pinot noir et du gouais blanc, comme une vingtaine d’autres cépages dont… le chardonnay», s’amuse l’ampélographe José Vouillamoz. Le directeur adjoint de DIVO lui trouve beaucoup de qualités quand il est bien fait, «en limitant déjà les rendements. En Beaujolais aussi, des vignerons ont redécouvert le potentiel de ce cépage, particulièrement sur des sols granitiques.»

Loin des 30’000 hectares plantés en France (dont 22’000 en Beaujolais), la Suisse est en deuxième position. «Il y a des terroirs qui lui conviennent bien, comme entre Martigny et Fully, en Valais», avance José Vouillamoz. «La Terre-Sainte et la région de Nyon lui sont très favorables», poursuit Julien Dutruy, qui en cultive 8 ha avec son frère Christian. «Le gamay a une longue histoire à Genève, qui fut bourguignonne et où il a remplacé la mondeuse locale au XXe siècle», défend Jean-Pierre Pellegrin, icône du vin suisse et fou de gamay, le deuxième cépage du canton.

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Jean-Pierre Pellegrin, viticulteur, présente son Gamay Sauvage et son Gamay Noir. Photo Lucien Fortunatti

«Il y a eu des myriades de sélections plus ou moins intéressantes, poursuit Pellegrin. Dans les années 1980, on a sélectionné des variétés très productives, à grosses grappes, peu acides et sans beaucoup de goût. Moi, je préfère des sélections massales anciennes que je suis allé chercher au cœur de la Bourgogne, des sélections du Beaujolais aussi.» Le vigneron de Peissy en tire deux bouteilles, un Gamay Noir, à destination du marché romand, et un Gamay Sauvage, pour les Alémaniques, élevés dans des fûts différents.

La vigne, bien sûr

Tous les vignerons en conviennent: le travail commence à la vigne. Si elles sont vieilles ou d’anciennes sélections, elles ne seront pas trop productives, sinon, il faut vraiment limiter le rendement. «J’ai de la chance, affirme la Valaisanne de Saillon Valentina Andreï, ma parcelle est en terrasse sur un sol granitique avec des pieds très anciens, j’en obtiens 200 à 300 grammes naturellement. Et la vigne manque un peu d’eau là-bas, ce qui est bien pour ce cépage.»

«Le stress hydrique lui va bien», confirme Julien Dutruy, qui a de la chance d’en avoir une dizaine de variétés et plusieurs terroirs pour composer le gamay de base et celui des Romaines, vieilli quinze mois en fûts. «Nous avons surtout des sols de morasse glaiseuse, maigres. C’est parfait.» Pour lui, il faut récolter mûr, mais pas trop non plus, et à la main. «Nous faisons des macérations en grains non foulés, avec même un peu de rafle pour Les Romaines. C’est la clé pour la finesse, on accentue les fruits, particulièrement rouges, mais aussi des notes d’iris, animales.»

Chercher les tanins

À l’inverse, à Chardonne, Maurice Neyroud fait des cuvages extralongs, 112 jours pour le millésime 2020 de son X-Trème, qu’il vient de presser il y a peu. «Je voulais faire ressortir le maximum d’arômes de la pulpe, les tanins des pépins. Ma première expérience a montré la masse tanique que cela donnait.» Le vigneron vendange quand c’est vraiment mûr, que les pépins ne sont plus verts mais «bruns, boisés, linifiés». Lui aussi vante son sol granitique, ses multiples variétés et ses petits rendements.

Valentina Andreï ne fait pas grand-chose en cave, une macération d’un mois, des levures indigènes, pas de pigeage, un peu de soufre à la mise. «C’est un cépage peu réducteur, un peu fermé, comme la syrah. Tout est dans l’élevage.» Son gamay, épicé, concentré, fait d’ailleurs penser au cépage rhodanien en dégustation à l’aveugle. Chez Pellegrin aussi, le travail de cave est minimal, «avec beaucoup d’observation pour éviter les déviations de goûts». Chez lui, aussi, le gamay s’épice, se parfume de tabac, de réglisse. Des tout grands vins.

Un seul gamay figure à la Mémoire des vins suisses: Les Romaines. «Nous voulons montrer le potentiel de vieillissement du cépage. À l’aveugle, avec le temps, on bluffe les gens qui croient que c’est un grand pinot. Depuis le millésime 2005, quasi tous sont bien conservés, explique Julien Dutruy. Également les années très chaudes où il reste digeste et gourmand. Cela pourra être utile avec le réchauffement, contrairement au pinot noir qui atteint ses limites de température.»

 

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